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Catherine de Sienne. Le Picard Philippe de Mézières, conseiller de Charles V, dévouait sa plume, son rêve et sa prière, à la fondation d’une milice de la Passion du Christ : les seigneurs, trop souvent fourvoyés par « Vaine Gloire, » n’y devaient point figurer ; il aspirait à mobiliser, contre le Croissant, « les gens d’honneur du moyen état de la chrétienté. » L’ami de Philippe de Mézières, Pierre Thomas, un carme natif du Périgord, s’égalait aux plus grands prédicateurs de croisades, en convoquant l’Europe sous l’étendard du roi français de Chypre, Pierre de Lusignan, qui crut un moment, en 1365, retrouver par Alexandrie la route de Jérusalem.

La victoire de Lusignan fut sans lendemain ; trente ans plus tard, à Nicopolis, nos chevaliers trouvèrent en une folle bataille une vaillante mort. Mais l’idée de croisade avait la vie dure ; et comme la guerre de Cent ans sévissait, comme elle permettait aux Turcs d’exploiter les discordes de l’Europe, c’est au nom de l’idée de croisade que Robert le Mennot, l’éloquent gentilhomme du Cotentin, et que le poète Eustache Deschamps, et que Jean de Gand, l’étrange ermite jurassien, conviaient à la paix les rois de France et d’Angleterre. Jeanne d’Arc surgit, préparant pour Charles VII la seule paix durable, celle qui lui rendrait la France : l’Occident curieux observait la jeune fille. Des rumeurs s’accréditaient, — le marchand vénitien Morosini s’en faisait le messager, — d’après lesquelles Jeanne mènerait un jour jusqu’en Terre Sainte, vêtus d’une étoffe grise qu’une petite croix constellerait, Anglais et Français réconciliés. Et Jeanne, toute première, écrivait aux Anglais : « Vous pourrez venir en la compagnie du roi de France, là où les Français feront le plus beau fait qui jamais fut fait pour la chrétienté. » L’héroïne par excellence de l’idée de nationalité française apparaissait aux contemporains et se regardait elle-même comme une dépositaire fidèle de la vieille idée de chrétienté et du séculaire programme de croisade[1].

Soixante ans plus tard, la guerre de magnificence que conduisait en Italie la romanesque juvénilité de Charles VIII n’était dans sa pensée, — il l’écrivait au pape Borgia, — que le prélude d’une expédition d’outre-mer « pour le service de Dieu, l’exaltation de la foi et le rachat du peuple chrétien. »

  1. Voir notre livre : Les nations apôtres, vieille France, jeune Allemagne. Perrin, 1903.