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attendait la France. Pépin venait d’installer l’armature terrestre dans laquelle devaient s’encadrer, conformément à sa constitution divine, la vie et l’action de la papauté. Des siècles succédèrent, le dixième, le onzième, où, malgré les commodités territoriales dont jouissait désormais le Saint-Siège, la constitution divine de ce pouvoir parut elle-même se voiler. Il devint la propriété des hautes familles romaines, puis des empereurs saxons ; et la chrétienté s’aperçut un jour, suivant le mot de Mgr Duchesne, qu’ « on devenait pape à l’avancement, dans la hiérarchie de l’Eglise germanique. » Il fallait un instrument bien fort, pour extirper ces abus : l’instrument se forgea en France.

En l’année 910, au lendemain même de certains scandales qui ternissaient le prestige de la papauté, Guillaume, duc d’Aquitaine, avait offert « aux apôtres Pierre et Paul » un rendez-vous de chasse, qu’il possédait dans le Maçonnais : il voulait qu’à la turbulence des chenils succédât, dans ce coin de terre sauvage encore, la pacifique prière des Bénédictins, et que ces moines ne relevassent que du Saint-Siège. De cet acte de confiance envers une papauté qui paraissait décadente, l’ordre de Cluny était né. Parmi l’immense morcellement féodal, le Siège Apostolique faisait l’effet de n’être plus qu’un pouvoir local. Planant par-dessus l’éparpillement des fiefs et la variété même des nations, l’ordre de Cluny rendit à l’Église la notion d’unité et aux Papes la conscience de leur souveraineté.

Odon, qui mit vraiment l’Ordre en branle, avait quitté sa stalle de Saint-Martin de Tours pour s’en aller à Rome : il s’en était revenu, plein de tristes visions. Tout autre en eût conclu : Rome se meurt. Mais les Clunisiens, comme le dira plus tard Grégoire VII, imitèrent les saintes femmes de l’Evangile, venant veiller et prier devant le sépulcre du Maître. Ils croyaient, — d’une foi qui savait, — que pour le vicariat du Christ l’heure de la résurrection était proche. Tels les Grecs du VIIe siècle avant notre ère, qui s’en allaient jalonner de leurs industrieuses colonies le littoral barbare, tels les moines clunisiens, s’éloignant douze par douze de leur patrie la France, édifièrent à travers l’Europe deux mille foyers de prière, de travail et d’influence spirituelle, d’ardente et laborieuse confiance dans le renouveau de l’Eglise de Dieu. « C’est le plus noble membre de mon royaume, » dira Louis VI au sujet de Cluny ; et un abbé de l’Ordre pourra se flatter, au XIIe siècle,