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matin chez toi, mais elles sont jolies à mon goût. Il y en a une bleue avec une garniture de mousseline qui m’a plu assez ; une robe en gaze de coton — Mme Carion dit que cela se lave comme du linge, — la garniture toute petite, en fleurs et feuilles, est jolie, et une en taffetas blanc broché. Elle a une guirlande de petites roses jaunes pour garniture ; elle ajoute à cela les chemisettes de crêpe et de mousseline parce qu’elles sont très décolletées derrière et boutonnent sur l’épaule. »

Mais, malgré les soins qu’elle prend de sa fille, Armande s’ennuie. Elle aspire à rejoindre l’un au moins des êtres qui lui sont chers : « Voici mon plan de voyage, écrit-elle le 10 messidor (29 juin). Je compte toujours partir pour Bayonne très incessamment. Je resterai avec Saint-Cyr tant qu’il sera dans cette ville. S’il recevait une destination pour faire la guerre activement, alors, ma chère petite, tu me verrais partir comme le vent et me rendre dans tes bras où, je crois, j’étoufferais du plaisir de te voir et de t’embrasser. Je m’en irai en poste, j’avais eu le projet de faire ce voyage à petites journées avec mes vieilles jumens, mais je serais trop longtemps en route. » Elle s’ennuiera jusque-là, bien qu’elle ait avec elle son beau-frère Carra Devaux[1]qui lui tient fidèle compagnie et qu’elle rend esclave. « Quelquefois, écrit-elle, nous allons avec M. Devaux jusqu’aux bords de la Seine pour faire baigner ma Spitz. Tu es bien ingrate en parlant de Spitz. Tu ne m’en as pas encore demandé des nouvelles. Saint-Cyr me l’a laissée pour me tenir compagnie, mais elle a un penchant si naturel pour les hommes qu’au défaut de Saint-Cyr, elle me préfère mon beau-frère. Cependant elle couche dans ma chambre et me garde bien, je t’assure. Si je fais le voyage de Milan, elle sera des nôtres…

« Il n’y a pas de grands changemens dans les modes. Les robes de très grande parure sont en tulle de couleur brodées en or ou en argent. Les moins élégantes, c’est du crêpe.

« Il m’est impossible, ma bien chère petite, de te donner mon portrait à présent. Mes facultés ne me le permettent pas, mais je puis très aisément te satisfaire pour la petite chaîne de mes cheveux que tu désires. Il y a trois jours, je me suis fait tondre. C’est-à-dire que mes cheveux sont coupés à la Titus et, en les mettant de côté, je pensais à t’en faire quelque chose.

  1. Le frère aîné de Saint-Cyr, ancien officier au régiment d’Orléans, né en 1755, marié en 1778 à Antoinette-Césarine des Roys.