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succomba, et l’on put croire que la Méditerranée serait bientôt une mer musulmane. D’autres incursions survinrent, insultant Lyon, Mâcon, Dijon, pillant les couvens et les églises, et traînant chez nous des hommes de l’Atlas, et du Sahara, et de l’Arabie, qui venaient s’installer. Un jour de 732, toute cette cohue cessa de s’éparpiller : Abdérame la lança vers la vallée de la Loire. Au passage de la Dordogne, il y eut tant de chrétiens tués, que « Dieu seul put se faire une idée de leur nombre, » et dans cette armée, folle de vaincre, le butin s’entassait. Elle visait Saint-Martin de Tours ; elle rencontra Charles Martel. « Tel le marteau, lit-on dans les Chroniques de Saint-Denis, qui brise et froisse le fer et l’acier et tous les autres métaux, ainsi Charles froissait-il et broyait-il par la bataille tous ses ennemis. » La plaine de Poitiers, comme la plaine de Toulouse, devint pour la foule musulmane le pavé des martyrs. L’Islam, après sept jours, recula, et plus jamais il ne revint. Il y avait cent ans exactement que Mahomet était mort : la semaine de Poitiers termina brutalement, par un définitif reflux, un siècle d’expansion progressive, incoercible. L’épée de Charles Martel signifiait aux deux moitiés du monde, la moitié islamique et la moitié chrétienne, que Mahomet n’irait pas plus loin. A l’abri du mur qu’avaient opposé les Francs, et dont Pépin le Bref consolida les assises en reprenant aux Arabes notre littoral méditerranéen, la chrétienté occidentale pouvait désormais se constituer, à l’écart de l’Islam, contre l’Islam.


III

Mais autour du Latran, cime de cette chrétienté, les nuages s’accumulaient. Les équipées lombardes, chaque jour plus indiscrètes, apparaissaient aux Romains comme l’humiliant prodrome d’une domination barbare. « Peuple spécial de saint Pierre, de l’Eglise, » ils tenaient à rester Romains, et le Pape voulait ce que voulait son peuple. La pompeuse faiblesse de Byzance ne pouvait plus rien pour lui. Et les Lombards, rôdant aux abords de la Ville Eternelle, commençaient de saccager ces colonies agricoles dont les revenus aidaient le Pape à faire vivre, dans Rome, le menu peuple chrétien. C’était là grand dommage et grand deuil pour le « vénérable clergé de la sainte Église de Dieu, » car il avait besoin de ces petites gens pour