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Chacun sait, ou à peu près, de quelle manière les événemens se sont déroules à terre, mais bien peu savent comment la lutte a été engagée sur mer, et dans quelles circonstances angoissantes s’est opérée la jonction entre la Great Fleet de l’amiral Jellicoe et nos flottilles de la Manche. C’est cette lacune que je voudrais essayer de combler, en racontant l’histoire de la Deuxième escadre légère aux premières heures de la guerre » quand un ordre rappelant les beaux jours de la Convention l’envoya barrer le chemin à toute la flotte allemande.


ENTRE PARIS ET LONDRES

Afin de saisir l’enchaînement des faits, il est nécessaire de se reporter au dimanche 2 août, premier jour de la mobilisation générale. Si l’on veut bien me suivre, nous monterons au ministère de la Marine, d’où va être expédié l’ordre télégraphique à l’exécution duquel nous irons assister sur place. Quoique les marins n’y règnent plus en maîtres, le titulaire actuel du portefeuille étant alors M. le sénateur Gauthier, leur esprit de devoir et de sacrifice ne continue pas moins de l’animer. Vieille maison qui, depuis Monge, — savant fourvoyé dans la politique, que la première République eut le tort d’enlever à ses études pour le mettre à la tête de la Marine, — fut celle, entre autres, de l’amiral Decrès, de Ducos, de l’amiral Hamelin, de Chasseloup-Laubat et de l’amiral Aube. Au premier étage de l’élégant pavillon, chef-d’œuvre de Gabriel, formant le coin de la place de la Concorde et de la rue Royale, est le cabinet du ministre. Pour mieux l’inspirer sans doute, on y avait placé la propre table de Colbert, meuble splendide du plus pur style Louis XIV. Mais, est-ce que sa vertu n’opérait plus ? la précieuse relique a fini par être remisée au musée des Arts décoratifs. A droite, le chef de cabinet et les officiers d’ordonnance. Vers la gauche s’étend une suite de salons, où sont installés de nombreux attachés civils. Les appartemens privés du ministre occupent, à leur extrémité, un pavillon faisant pendant avec le premier. C’était là que Louis XVI, encore dauphin, et Marie-Antoinette descendaient quand ils couchaient à Paris. Il y reste des merveilles de cette époque infiniment gracieuse. Un peu partout, des portraits de nos gloires navales, et d’anciens tableaux représentant les hauts faits de la marine à voiles ;