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d’aller dans le monde, de sortir, et de se montrer, mais aux bals ou aux cercles, bien plus qu’aux cérémonies qu’elle esquive volontiers. A la vérité, ce sont là des grandeurs qui tournent vite à la corvée, même si l’on est directement intéressé et qu’est-ce que des comparses que ne soutient pas une vanité exaspérée au point qu’ils croient les yeux braqués sur leurs moindres démarches ? Et Mme Saint-Cyr n’est pas ainsi faite. Il est difficile de discerner si elle prend ce qu’elle fait autrement que comme un devoir et un agrément mondains. Aussi bien comment penser que l’on ait rebroussé chemin jusqu’à cette forme de culte dont se trouvaient entourées les princesses d’ancien régime, en sorte que leurs dames fussent comme leurs prêtresses ? Mme Saint-Cyr ne pouvait admettre Vraiment que Mme Murat fût de droit divin. L’Empereur, peut-être, vu les miracles qu’il faisait, mais il fallait que le miracle fût ininterrompu. Une seule fois elle se hasarde à parler de lui et c’est pour marquer sa foi. Mais cette foi résisterait-elle aux épreuves, au malheur, au temps ?

En tout cas, ce serait bien l’unique religion qu’elle eût professée. S’il est par deux fois, deux uniques fois, question dans ces lettres de cérémonies catholiques, officielles, c’est d’un ton d’indifférence, sinon de négation. Les femmes de ce temps sont la plupart ainsi, et ce qui reste d’elles, mémoires ou lettres, l’atteste. L’assistance faisant partie de l’étiquette, on s’y astreint, mais cela semble si loin de la pensée, tout occupée par le matériel de la vie, l’ambition, la gourmandise, le plaisir, les affections familiales ! — Il y a bien aussi chez certaines l’amour, et l’on peut admettre que ce soit la forme de mysticisme qu’elles ont adoptée. Mme Saint-Cyr la pratique, mais pour son second mari, et elle le raconte tout franchement, à sa fille. Mais ce matérialisme bon enfant est si près de la Nature qu’il ne choque pas comme s’il raffinait. Il y avait dans la France d’il y a cent ans une simplicité dans la vie qui s’exprimait dans le langage et qui ne se voilait pas de phrases mensongères. La pudeur n’y perdait rien, ni les bonnes mœurs ; mais la franchise, la netteté, la propreté de l’esprit et du cœur y gagnaient, L’hypocrisie du langage a engendré l’hypocrisie des caractères. Est-ce là un progrès ?


FREDERIC MASSON.