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à lui, plus qu’à des inconnus, même, et ne compromet pas le bonheur de sa vie présente, la seule certaine, pour l’hypothétique avantage d’êtres qui ne sont pas encore. Et parce que le plaisir et les convenances de chacun étaient l’unique loi de tous, il n’y avait pas à subordonner, comme Malthus, la restriction des naissances à la chasteté du lit nuptial. La continence avait perdu sa dignité de vertu publique pour déchoir à l’abaissement obscur d’une habitude oiseuse. Si l’homme est son unique maître pour se prescrire le bonheur, la continence, par cela seul qu’elle retranche à ce bonheur, est une révolte contre la loi de la vie, une entreprise de l’homme contre lui-même, un effet sans cause. Les guides de la société moderne connaissaient trop leurs disciples pour leur recommander ce moyen de restreindre les naissances : à ce prix, beaucoup aimeraient mieux être pères que n’être plus époux. Au lieu de réduire les gens à cette contradiction de servir et de combattre à la fois le bonheur, une philosophie plus complète le laissait se faire partout sa place et ne se refuser rien.

La philosophie nouvelle ne confessait pas avec cette brutalité sa doctrine d’égoïsme. Beaucoup de ces adeptes ne voyaient pas jusqu’au fond d’eux-mêmes ; les vieilles générosités de la race, qui désertaient les consciences, habitaient encore les imaginations et demeuraient sur les lèvres. Ils accréditèrent leurs réformes en les prétendant les meilleurs moyens de servir l’intérêt général. On donna comme la voix même de la science l’opinion de certains savans que la poussée hâtive marque l’âge ingrat des peuples. L’étouffement, l’écrasement, enseignait-on, n’est pas l’ordre ; à une race la qualité des siens est plus nécessaire que le nombre, et il faut réduire le nombre pour accroître la qualité. C’est par la culture de l’intelligence, la primauté du génie, raffinement du goût, le poli des mœurs que la hiérarchie se fait entre les hommes. La maîtrise de l’univers appartiendra à la société la plus créatrice de progrès par ses découvertes, la plus créatrice de richesse par une concentration de la puissance industrielle dans des mains expertes, la plus créatrice de joie par son art de vivre. S’excluent elles-mêmes celles qui s’exposent à la plus redoutable des invasions, la perpétuelle invasion des nouveau-nés. Pour chaque homme, ne pas étouffer dans une place trop étroite ; pour les enfans, échapper aux héritages morcelés qui ne laissaient rien d’intact