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Saint-Cyr, malgré sa brouille avec Dubayet, s’empressa d’adresser au ministre des Relations extérieures une pompeuse oraison funèbre de « son père, son protecteur, son ami de vingt-cinq ans. » Il entreprit moins de gérer l’ambassade, tâche dont Ruffin s’acquittait mieux que lui, que de s’ériger en avocat de la citoyenne Dubayet. Il appuya avec une éloquence pénétrée les demandes, au moins inusitées, qu’elle présentait au Directoire. Rien moins que de se poser presque en émule de Mme la maréchale de Guébriant. « La santé de la citoyenne ambassadrice, extrêmement altérée par les veilles et les suites de cet événement, écrivait-il, me détermine à vous prier, citoyen ministre, de l’autoriser à prolonger son séjour à Constantinople aussi longtemps que sa santé et ses affaires pourraient l’exiger. » Moyennant qu’elle habitât le palais de France et qu’elle y gardât maison montée, elle se contenterait de la moitié du traitement de son mari, — qui était de 150 000 livres. Saint-Cyr n’avait point osé aller jusque-là avec le ministre, mais il prit revanche avec Rewbell et, en attendant les réponses de Paris, il établit la citoyenne ambassadrice et sa fille comme les représentantes officielles de la République. Ayant à remercier le capitan pacha des marques de sympathie qu’il avait chargé Ruffin de témoigner à la citoyenne Dubayet et à la jeune Constance, « je crus devoir, écrit-il, répondre à tant de marques d’intérêt en lui présentant Constance. » Il la mena donc avec lui chez le pacha, vêtue en homme et accompagnée des citoyens Fleurat et Ruffin et du général Menant ; elle fut placée sur le sopha entre ces deux derniers. Le pacha, qui, pendant la conférence, regardait souvent la jeune Constance et faisait remarquer au citoyen Ruffin combien elle ressemblait à son père, dit en riant à ce secrétaire interprète : « On voit bien que vous n’êtes qu’un homme de plume et de paix, peu curieux des belles armes : cette enfant est réellement la fille d’un héros ; elle a toujours les yeux fixés sur mes sabres appendus au lambris, et elle ne fait que pousser le général Menant pour les lui faire admirer. » Le capitan pacha invita l’ambassadrice à le voir sortir en pompe par la porte d’Andrinople pour prendre le commandement de son armée, et à visiter, quand elle voudrait et autant de fois qu’il lui plairait, le vaisseau amiral qui était en rade. L’audience se termina par des présens de châles et de mousseline