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claquait les portes dans la chambre à côté ; et l’Entente était sur ses gardes. Aux avances du comte Czernin, M. Winston Churchill répliquait : « Ce n’est pas l’heure de parler de paix. » Il avertissait les Alliés : « On ne se doute pas combien on a été près de la victoire, avant qu’elle soit un fait acquis. » Pourtant voilà des heures, des jours, des semaines et des mois que l’Allemagne et l’Autriche nous parlent de la paix ; et, à force de nous en parler, il s’en est fallu de peu qu’elles nous en fissent parler.

Le procédé a été le même pour l’Alsace-Lorraine que pour la Belgique. L’Allemagne, on l’a dit vingt fois, mais l’on est et l’on sera obligé de le redire sans cesse, porte en soi une puissance de répétition, d’auto-imitation indéfinie. Rien ne l’éclaire, ou rien ne la lasse. Elle monte laborieusement un coup, l’exécute, le manque, et le recommence. Quand elle croit avoir forgé et tenir un levier à ébranler le monde, à peine, si elle voit que le monde ne bouge pas, daigne-t-elle changer le point d’application. Alors elle le tâte, pour ainsi dire, elle promène ses prises à la surface, cherchant l’endroit où l’écorce est le plus faible et pourrait craquer. C’est de la sorte qu’elle a mené son coup de la paix séparée ou de la paix tout court. Paix séparée, dans la pensée allemande, avait un premier sens, qui était : paix de séparation et de brouille entre les nations de l’Entente, suivant la tactique frédéricienne. L’Allemagne, après les événemens de mars, et devant les ravages de son infiltration, s’est imaginé qu’elle allait détacher du bloc occidental la Russie révolutionnaire; n’y ayant pas réussi, elle s’est retournée et s’est efforcée de détacher de la Russie révolutionnaire le bloc occidental. Elle a peint successivement les Alliés comme enclins à faire leur paix avec les Empires du Centre au détriment et sur le dos de la Russie, ensuite la Russie résolue à faire sa paix par l’abandon des Alliés. Le bloc a résisté, malgré toutes les fissures et tout le travail moléculaire qui, au dedans, le secouait. Les deux moitiés, l’Est et l’Ouest, en sont restées jointes. Faute de mieux, l’Allemagne s’est attachée à effriter, à ronger chacune d’elles. A l’Ouest, lorsqu’elle nous a eu ressassé pendant plus de deux ans que nous nous battions pour l’Angleterre qui, elle, ne se battait que pour la Belgique, qui peut-être même ne rêvait que de s’installer souverainement à Calais ou à Boulogne, elle a fait dire à l’Angleterre que, sur la Belgique, il y aurait moyen de s’entendre. Toute la presse d’outre-Rhin s’est remplie comme par enchantement de dissertations, de discussions, de projets concernant la Belgique ; on les a un instant rehaussés et dorés d’une couleur