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à peu près, la déplore, mais absolument tout le monde l’augmente. L’autre jour, le ministre de l’Intérieur, M. Nikitine, voulut s’opposer à ses ravages ; que fit-il ? Il décida de créer des « comités contre l’anarchie. » Ce qui est proprement verser des gouttes d’eau dans le fleuve. Comme si tous ces comités ne devaient pas être de nouveaux facteurs d’anarchie, et comme si, contre l’anarchie, il pouvait y avoir un autre « comité » que le gouvernement! Mais il faut un gouvernement. S’il y avait à Pétrograd un gouvernement, s’il y avait même quelque part en Russie un pouvoir local intact et sain, les généraux Denikine, EIsner et Markoff, qu’on envoie rejoindre Korniloff sous le ciel inclément de la péninsule de Kola, n’auraient pas été livrés sans protection aux exigences injurieuses des soldats, dont beaucoup, probablement, ne leur reprochent, dans le « secret » de leur cœur, que d’avoir voulu les contraindre à marcher.

Néanmoins, une partie de la flotte de la Baltique a entendu l’appel de Kerensky. Les quatre gros dreadnoughts, qui s’étaient enfermés, pour des fins ultra-révolutionnaires, dans la rade de Cronstadt, n’en sont pas sortis. Mais des vaisseaux, malheureusement plus anciens et plus faibles, les mêmes peut-être qui avaient essayé d’interdire à l’ennemi le détroit de Soëla, ont engagé, à l’entrée du golfe de Riga, une vraie bataille navale qui ne s’est terminée que dans le Moon-Sund, et où les Allemands ont payé cher leur avantage. Devant des mastodontes du type Kaiser et Kœnig, ils ne pouvaient guère que se faire écraser ; mais ils l’ont risqué, et c’est l’essentiel. L’essentiel est de restaurer, dans l’armée et la marine russes, l’esprit de devoir et de sacrifice. La Russie commencera à être moins battue, dès qu’elle aura recommencé à se battre. Et, quelque menace qui soit dirigée, de Riga, d’Ösel ou d’ailleurs, contre Revel ou même contre Pétrograd, dès qu’elle se battra comme elle sait, peut et doit se battre, rien ne sera irréparable.

D’autant plus que tout ne se passe pas sur le front oriental. Les communiqués de Ludendorff emploient quelquefois, comme formule de magnificence, cette expression : « De la Baltique à la Mer Noire. » Mais ils sont encore bien modestes. Il faudrait dire : « De la mer du Nord au golfe Persique. » A l’un des bouts de cette immense ligne, il y a les Flandres, Ypres, Langemarck, Poelcappelle ; et il y a la Mésopotamie, Bagdad, Ramadié, à l’autre bout. A l’un des bouts, les Anglais tiennent la route par où Falkenhayn devait venir avec les Turcs d’Enver-pacha ; à l’autre bout, les armées britanniques des généraux Gough et Plumer, l’armée française du général Anthoine,