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mortifications, jeûné, porté le cilice et, de mille manières, tourmenté son corps innocent. Elle a supporté la souffrance et l’a convoitée. Or, habituellement, « les maladies mettent la tristesse et l’amertume dans l’âme ; Claire, il semblait que la souffrance du corps augmentât ses félicités spirituelles. » Et, au fort de l’affliction charnelle, son visage était joyeux. Par la pauvreté, par les mortifications, elle tend à l’allégresse. Conséquemment, si elle s’aperçoit que ses filles ne sont pas gaies, elle a soin de les consoler. La nuit, fût-ce l’hiver et par les grands froids, elle se levait, parcourait la chambre des sœurs endormies ; elle recouvrait doucement celles qui n’étaient point assez couvertes. Si l’une était languissante ou débile, elle atténuait pour celle-là les austérités de la règle, de façon que toutes pussent « demeurer contentes. » Un pareil souci du contentement, de la gaieté même, dans le dénuement, la misère du corps, c’est la marque franciscaine. Sainte Claire après saint François, auprès de saint François, a inventé, pratiqué, ce détachement de l’âme heureuse de son détachement. Un jour, quand elle fut au point de mourir, on l’entendit murmurer : « Va en toute paix ; tu as un bon guide pour te montrer le chemin ; pars sans crainte… » On lui demanda à qui elle parlait ; et elle répondit : « J’ai parlé à mon âme. » Et elle a dit à ses filles les Pauvres dames, dans son testament : « Aimez vos âmes. »

Le R. P. Binet, jésuite, que Pascal a si fort maltraité, je crois, injustement, fit un panégyrique de sainte Claire ; et, comme il avait, avec une piété accomplie, un grand bon sens et une excellente drôlerie oratoire, il ajouta : « Je vous défends très expressément d’imiter cette vierge sainte ; c’est assez pour vous de l’admirer ! » Mais il n’est pas à craindre que le monde finisse par l’universelle imitation de sainte Claire. Et les saints ne risquent pas de perdre le monde par l’excès de la perfection qu’ils proposent. Ils le sauveraient plutôt, par leur exemple un peu suivi. Et sainte Claire, en aucun temps, n’est dangereuse et n’est inopportune, qui rappelle aux vivans qu’ils ont une âme ; qui les invite à supporter l’inévitable souffrance, à la tourner peut-être en bienfait ; et qui oppose un idéal de pauvreté à l’énorme « Enrichissez-vous » qui est la honte et la calamité de nos époques.


ANDRE BEAUNIER.