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de ne plus le voir. Il leur manda qu’elles le reverraient avant qu’elles ne fussent mortes. Et, quand il fut mort, les frères qui portaient son corps de Sainte-Marie-des-Anges vers Assise n’avaient point à passer par le couvent des Pauvres dames. Ils firent ce détour malgré eux et comme à l’instigation d’une volonté supérieure à eux, « pour que la parole de saint François s’accomplit,  » et pour qu’ici-bas sainte Claire eût dit adieu, eût dit à saint François au revoir. Toutes les Pauvres dames pleuraient, orphelines et d’un tel père. Sainte Claire « ne pouvait se détacher du corps et des stigmates. » Elle pleura comme une autre femme. Et les stigmates autrefois, tout miraculeux qu’ils fussent, elle avait tâché de les guérir à saint François. Au monastère de sainte Claire, on garde une compresse qu’elle appliqua sur les douloureuses plaies.

Elle vécut vingt-sept années encore après que saint François fût mort et conserva son enseignement qui d’abord était de pauvreté. La règle de pauvreté est le principe de sa morale et, comme le stratagème du salut, son grand amour. Elle écrit à la fille du roi de Bohême : « Le royaume des deux n’est promis qu’aux seuls pauvres. Impossible de servir Dieu et l’argent : ou bien nous aimons l’un et nous haïssons l’autre ; ou bien nous servons l’un et nous méprisons l’autre… » Elle qui est si douce et docile, et si humble et si naturellement portée à croire qu’elle se trompe si l’on n’approuve pas son idée, elle a lutté avec ardeur contre le pape Grégoire IX au sujet de la pauvreté. Le Pape, n’ayant pas vu sans inquiétude la sévérité des Clarisses, en avertit bénignement l’abbesse et la pria de relâcher tant de rigueur. L’évêque d’Ostie, protecteur de l’ordre des Pauvres dames, joignit aux remontrances du Pape les siennes. Tous deux conjurèrent l’abbesse d’accepter quelques propriétés qu’ils donneraient à l’ordre, vu la difficulté de vivre en ces temps-là sans rien posséder. L’abbesse refusa. Et le Pape lui dit alors : « Si c’est à cause de ton vœu de pauvreté parfaite que tu refuses, nous te relèverons de ton vœu… » L’abbesse répondit, avec autant de résolution que d’humilité : « Saint Père, je ne crains pas pour mon vœu ; et je sais bien que vous pouvez m’en relever. De mes péchés, je vous prie, absolvez-moi, père très saint. Mais je ne désire en aucune façon de ne pas suivre les traces de mon Seigneur ! » Elle eut, comme saint François, l’amour insigne de la pauvreté. Tard dans sa vie, elle se souvenait du jour qu’ayant renoncé à toute richesse et à toute possession des choses de la terre, elle avait commencé de « courir plus légère sur les pas de Jésus-Christ. » Elle a recherché, durant sa vie entière, toutes les