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Chalgrin, « un scélérat » qui « portât l’audace jusqu’à arborer sur son chapeau cette couleur blanche, signal de l’ingratitude, du parricide et de l’assassinat ; » il annonçait officiellement « qu’il était bien résolu à lui courir sus et à le tuer dans les rues de Péra. » Il portait dans ses négociations avec les Turcs la même aménité et traitait militairement toutes les affaires. « En affaires, écrivait le citoyen Pampelonne, c’est un enfant et un enfant gâté. » Au moins, s’il était aigri contre l’univers entier, restait-il content de soi, tel que lorsqu’il avait été désigné pour Constantinople. En ce temps-là, il écrivait : « J’ai commandé avec gloire les armées de la République ; j’ai mis le militaire sur un tout autre pied, étant ministre de la Guerre ; j’aurais pu être directeur ; je suis nommé à l’ambassade la plus intéressante de l’Europe ; il ne me reste plus qu’à mourir les armes à la main en combattant pour la Liberté ! »

On eût pu espérer de l’arrivée de Mme Dubayet, que le général semblait souhaiter infiniment, quelque tranquillité à l’ambassade. Raison majeure pour qu’il fût en bons termes avec son épouse : « Depuis six ans, écrivait-il, je n’ai vu ma famille que deux mois. » Il avait donc réclamé une frégate ou deux pour amener Mme Dubayet et sa fille et ce fut là l’occasion d’aigres correspondances avec le ministre de la Marine, Truguet, qui préférait employer à des services de guerre les vaisseaux de la République. En fructidor an V (août 1797), après la chute de Truguet, Mme Dubayet, accompagnée de sa fille, s’embarqua à la fin sur la frégate la Sérieuse, mise à sa disposition par l’amiral Bruix. Elle débarqua en vendémiaire an VII (fin septembre 1797) et trouva un homme en lutte avec le peu qui restait de Français, incapable de se contrôler et de suivre les affaires, moins encore de se conformer aux ordonnances des médecins. Moins de deux mois après son arrivée, le 15 frimaire (5 décembre) Dubayet fut pris d’une mauvaise fièvre, « fièvre bilieuse, putride, inflammatoire et milliaire, » qui l’emporta en onze jours.

Ruffin, le drogman, qui, à travers toutes les vicissitudes, conservait à l’amba3sade la tradition française, s’était hâté d’aviser Saint-Cyr pour qu’il vînt de Bucarest prendre la gérance. Quelque diligence qu’il fit, il n’arriva qu’après l’inhumation solennelle et laïque de Dubayet dans les jardins du palais de France, près d’un arbre de la liberté, planté jadis par Descorches.