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dans l’espérance et la certitude absolue de la vie éternelle. Et vous l’appelez une mystique ? Elle a aussi fait un calcul et vous répond de son intelligente économie. Elle écrit à Ermentrude, sa très chère sœur : « Très chère, il est court, notre travail ici-bas ; mais la récompense est éternelle ! » En somme, elle est chrétienne. Mais, pour entendre la manière si ardente et si gaie de son christianisme, il faut apercevoir qu’elle a été l’une de ces âmes qui subissent terriblement les alarmes de la durée. Je ne crois pas que rien caractérise mieux les âmes que leur sentiment de la durée : les unes qui, là-dessus, n’ont pas d’exigence et qui se contentent de la brièveté ; les autres qui tolèrent très bien l’ennui ; et quelques-unes qui s’amusent de la brièveté, baguenaudent parmi les instans et goûtent la décevante poésie du plaisir éphémère ; et quelques autres, plus avides, qui réclament l’éternité, plus vivantes peut-être et qui pensent mourir avec tout ce qui meurt. Toute petite, et à douze ans, ce n’est pas tant la vilenie du monde que Claire Scifi déplore, mais (dit-elle) sa caducité.

Le dimanche des Palmes de l’année 1212, elle avait dix-huit ans bientôt. Avec Mme Ortulana et ses sœurs, elle assista aux offices. Le Pape Innocent III, dit la légende, — et ce fut peut-être seulement l’évêque d’Assise — donnait les rameaux. Claire, au lieu de s’approcher, demeurait à sa place : et il fallut que l’évêque ou le Pape descendît les marches de l’autel et vînt à elle, lui donnât le rameau ; en outre, il la bénit. Pourquoi ne bouge-t-elle pas ? Timidité, dit la légende ; et humilité. Principalement, elle est troublée ; elle est comme interdite. Saint François lui a promis de l’enlever au monde, le lendemain dès l’aube, et de la consacrer. Le jour passe, et les premières heures de la nuit. Et elle va quitter la maison paternelle. Une de ses suivantes l’accompagne, à la fidélité de qui elle se fie. Elle ne sortira point par la grande porte : elle se sauve en cachette. Mais la petite porte est fermée par de grosses pierres, que ses forces ne suffiraient pas à remuer. Elle s’agenouille et fait oraison. Dieu lui augmente ses forces ou bien rend les pierres moins lourdes : elle les écarte sans difficulté. Elle se dépêche, à travers les rues d’Assise endormie. Elle arrive à la Portiuncule, où l’attendent avec beaucoup d’émoi saint François et les pauvres frères mineurs ses compagnons tous priant pour qu’elle pût accomplir son dessein. Quand elle entra dans l’humble chapelle, ce fut « très grande liesse. » Les frères chantèrent les hymnes de remerciement ; et cette église, « tant à cause des nombreuses lumières que du chant très pieux, semblait vraiment un paradis où ne