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Il était occupé de récolter à Dieu beaucoup dames : et voici qu’une âme se présentait, docile, pour être conduite à Dieu ; et il devina probablement que cette âme-ci était d’un prix singulier. Donc, il s’égaye ; et il plaisante ; et il s’écrie : « Non ! Je ne te crois pas ! » Et pourquoi ? C’est qu’il se méfie de ces caprices qu’ont les jeunes filles… « Je ne te crois pas !… » Et nous imaginons le sourire qui dut être à ses lèvres, le même qui est dans tous ses propos, dans toute son histoire… « Je ne te crois pas !… Et pourtant, si tu veux que j’aie foi en tes paroles, tu feras ce que je vais te dire… » C’est une épreuve. Juste précaution ! Mais l’épreuve est bien marquée de son génie très volontiers un peu extravagant qui réunit à de grandes sévérités une sorte de badinage : « Tu te revêtiras d’un sac et tu iras par toute la ville en mendiant ton pain !… » Claire Scifi rentra chez elle. Et elle s’habilla d’un sac ; elle mit sur son visage un voile blanc, sortit à la dérobée et s’en alla par la cité, comme l’avait commandé saint François, mendiant son pain. Les gens d’Assise étaient accoutumés à la voir très noblement parée. Ils ne la reconnurent pas. Saint François la reconnut ; et il sut que cette jeune fille avait de l’audace et de l’obéissance.

Pendant quelques mois, saint François et Claire se virent assez souvent. Les parens de Claire ne le savaient pas. Madonna Buona di Gualfuccio lui servait de chaperon. D’ailleurs, les rencontres étaient courtes et n’étaient pas si secrètes qu’on pût en murmurer ou en concevoir de malins soupçons. Claire sortait de ces entretiens pleine d’allégresse, plus décidée à « répudier la beauté du monde. » Les vanités et les plaisirs du monde, elle les juge « immondices et boue. » Elle maudit et maudira « la contagieuse infection » du siècle. Et ces mots, qu’elle choisit les plus répugnans et insultans, elle les dit et les répète avec obstination. Jamais la pauvre vie humaine n’a été plus ardemment vilipendée ; et jamais l’arrangement que l’infortunée humanité a composé pour son séjour involontaire sur la terre, plus violemment jeté aux ordures, que par cette heureuse jeune fille. Voilà le pessimisme de sainte Claire. Et c’est le pessimisme de saint François.

Mais ce n’est point un pessimisme. On chercherait en vain, disais-je, dans la destinée de Claire Scifi, les causes de la tristesse : on chercherait en vain la tristesse de sainte Claire. Quand nous allons lui demander pitié pour la vie humaine, songeant que nous n’avons pas autre chose : « Et la vie éternelle ?  » réplique-t-elle. Sainte Claire, et dès son enfance et jusqu’à sa mort, n’est aucunement triste : elle vit