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seulement que le chant d’Ego sum pastor bonus embellit encore la journée du miracle. Puis l’évêque de Spolète lui demanda si aucune autre sœur n’avait vu le jeune enfant ; elle répondit : « Une sœur m’a dit : Je sais que tu as vu quelque chose… Je me suis tue, et elle ne m’a plus rien dit ; peut-être elle aussi l’avait-elle vu… »

J’aime beaucoup ces passages, qui montrent, comme je disais, la bonne foi du narrateur et la bonne foi des enquêteurs. Ils n’affirment pas ce dont ils n’ont pas la certitude ; ils ne repoussent pas non plus ce qu’ils ne savent pas qui n’est pas vrai. Et, si l’on dit que les sœurs Agnès ou Françoise n’étaient que visionnaires et rêveuses, c’est bientôt dit. Au cas où l’on tiendrait à leur refuser créance, le fait de leur illusion, si c’en est une, ajoute au personnage de sainte Claire un caractère qui mérite qu’on l’étudie. Elle avait un prestige singulier, ne semblait pas une créature, pareille à toutes les créatures ; et elle était de telle sorte qu’il fallait la croire en commerce avec Dieu. Mais, en tout cela, il n’y a très évidemment nulle imposture, et de personne. Les ennemis de ces légendes saintes supposent l’imposture avec trop de facilité. Ces prétendus positivistes, et munis (à les entendre) des méthodes scientifiques, se débarrassent promptement de ce qui les pourrait gêner. S’ils prenaient la peine de regarder avec loyauté ou ne fût-ce qu’avec bonhomie, qui est une vertu de l’esprit et du cœur, ces miracles du cœur, ils verraient que personne assurément n’y a menti et que même beaucoup de vérité s’y révèle, environnée d’incertitude, comme toute vérité.

Au surplus, dans la légende de sainte Claire, — et aussi dans la plupart de ces légendes, — les miracles ne sont pas l’essentiel et ne sont pas indispensables. Les enquêteurs pontificaux, chargés de relever les preuves merveilleuses de la sainteté de Madame Claire, le disent très nettement. Les miracles, remarquent-ils, prouvent « que les œuvres de la vie ont été bonnes et parfaites. » Mais, quoi ! Saint Jean-Baptiste n’a fait aucun miracle qui soit connu ; et cependant on ne va pas lui disputer la sainteté ni le considérer, parmi les saints, comme le dernier : « La vie de Madame sainte Claire suffirait à établir sa sainteté. » Si néanmoins l’évêque de Spolète confie au notaire Martin le soin de coucher par écrit les visions des sœurs Françoise et Agnès et les autres témoignages de l’efficacité surnaturelle de la sainte, c’est que « le peuple a plus grande foi et dévotion aux saints du ciel quand il voit les miracles que Dieu accomplit par eux. » C’est le contraire aujourd’hui, paraît-il ? La vie de Madame Sainte Claire suffit à enchanter les imaginations et à les mener vers de bonnes rêveries.