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sous-lieutenant à servir la Patrie. Prie toujours bien, fais des sacrifices, rien de tout cela n’est perdu, et songe que, bien souvent, pendant le jour, ou la nuit en sentinelle, ma pensée et mon cœur vont vers vous tous que je désire tant revoir. Embrasse tous les camarades pour moi, et remercie tous ceux qui m’ont écrit… Bonjour à ta famille. Je t’embrasse. »

Le régiment, à ce moment-là, occupait, au bord de l’Avre, au pied de Villers-les-Roye, des tranchées établies dans les champs, à proximité d’un petit bois. Les sorties contre les Allemands étaient fréquentes, et le sous-lieutenant Portas y faisait toujours, comme à Bapaume, « tout ce qu’il fallait » pour être tué, mais sans être jamais atteint, semblait même comme invulnérable, et commençait à s’en divertir, en criant quelquefois dans la fusillade :

— Ah ! les maladroits !… Ils ne savent pas tirer… Si ça continue, je serai obligé, après la guerre, de cribler moi-même mon habit de balles, pour qu’on ne m’accuse pas d’avoir fait l’embusqué !…

Les balles et les obus ne devaient pas cependant toujours l’épargner et, le 6 octobre, il disparaissait dans une alerte de nuit, sans que les récits de sa mort aient jamais bien concordé, ni que son corps ait même jamais été retrouvé.

Vers le milieu de la nuit, d’après certains témoins, un soldat cycliste rencontrait, après l’attaque, les restes de la compagnie dans une tranchée de seconde ligne, et demandait aux hommes s’ils avaient beaucoup souffert.

— Oh ! oui, lui répondaient-ils.

Ils ajoutaient :

— Tenez, le sous-lieutenant Portas a été tué, le voilà !…

Et ils lui montraient un mort étendu au fond de la tranchée… On venait alors, au jour, pour reconnaître le corps, mais ni le mort, ni les hommes n’étaient plus là.

D’après d’autres témoins, le lendemain même du 6, un homme avait annoncé à sa mère qu’il venait d’assister aux derniers momens de l’abbé Portas, mais l’homme était mort lui-même lorsqu’on lui avait écrit pour lui demander des détails. D’autres racontaient aussi avoir vu le vicaire tué à bout portant en refusant de se rendre, d’autres qu’ils l’avaient vu se repliant blessé vers le bois, et d’autres qu’il était tombé dans le bois même, blessé, mais faisant encore face à l’ennemi. Il leur