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pas par quel droit, de venir bombarder la ville de Moosch. Ah ! si vous aviez vu ce manège ! Ils en ont lancé huit, dont deux n’ont pas éclaté. Il y a eu quatre blessés, dont deux civils, et quelques maisons un peu abîmées… Aussi, déménagement complet. On a immédiatement descendu les malades à la cave, les plus malades au réfectoire des Sœurs, et tous ceux qu’on pouvait évacuer ont été renvoyés sur Bussang. Ils étaient si malheureux ! Il y en a eu plusieurs qui ont pleuré !… Je termine, car il est tard, minuit, et je suis bien fatiguée… »

Même sous les bombes et les obus, l’un des soucis de Sœur Ignace était d’être privée de « retraite. » Aussi, racontait-elle à ses Sœurs de Paris comment elle s’en dédommageait, et leur écrivait-elle, avec sa gaîté ordinaire : « Nous nous sommes payé une petite fête bien religieuse pour la Nativité… Messe chantée, Reine des Cieux, Sancta Maria, Reste avec moi, Magnificat… Après l’Evangile, un sermon en français sur la sainteté. C’était si simple, mais si bienfaisant ! » Un nuage, pourtant, assombrissait la solennité, et elle continuait : « Après la messe, on nous a amené un blessé nageant dans son sang. Ce pauvre s’est suicidé ! Vous ne vous figurez pas combien c’était pénible de le voir se débattre… Il avait une maladie nerveuse, et surtout des idées noires. Espérons que le bon Dieu lui fera miséricorde. Je plains de tout mon cœur sa pauvre femme et sa petite fille… » Mais les obus pleuvent de plus en plus drus, et elle note alors, dans ses lettres suivantes, leur fréquence toujours plus grande : « Dimanche, il en est tombé treize, mardi quinze, et c’est curieux comme on s’y fait. D’un côté, bombardement et, peu de temps après, musique dans la cour de l’hôpital… On ne conserve plus que les blessés inévacuables, les deux étages supérieurs sont vides et, à la moindre alerte, on les descend à la cave qui est assez bien installée. Nous y avons même une salle d’opéra-lions… » Puis, quelques jours après : « Quelle canonnade !… Jeudi soir, on a opéré jusqu’à deux heures et demie du matin, et vendredi jusqu’à trois heures… Jamais nous n’avons vu autant d’hommes abrutis et à bout comme ces pauvres malheureux. Ils faisaient peine à voir. Aussi, ma chère Sœur Séraphine, je me suis couchée hier sans adoration, lecture et deux chapelets de moins… Il est onze heures du soir, et je suis éreintée… »

Malgré le bombardement, et les incessantes arrivées de