Page:Revue des Deux Mondes - 1917 - tome 42.djvu/150

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

envoient aux Tuileries des adresses de fidélité. Des groupes depuis longtemps ont été formés dans toutes les villes de la rive gauche : celui de Mayence, en 1852, fait partir pour Paris son drapeau, accompagné d’une délégation, pour féliciter Napoléon III ; dans cette même ville, jusqu’en 1870, nos vieux soldats, torches allumées, en bicorne et en manteau sombre, c’est-à-dire dans leur uniforme français ou dans une tenue qui le rappelle, ne manqueront jamais de monter une faction, le jour de la Toussaint, devant le monument qu’ils ont fait élever au cimetière à la mémoire de leurs camarades défunts. Une de ces sociétés existe à Cologne, une autre à Coblence : on y célèbre régulièrement le 5 mai et le 15 août.

Heine, le premier, a déclaré que les deux Napoléon ne sont qu’un seul et même homme, un être surnaturel appelé à sauver le monde et à libérer l’Allemagne des restes de la Sainte-Alliance. Une foule de publicistes reprennent cette thèse, et dessinent du second Empereur une figure idéale, avec des traits empruntés à la physionomie du vainqueur d’Austerlitz. Napoléon III a du génie ; il est l’égal de son oncle et de Jules César, le plus profond politique de son temps, un économiste remarquable, un général hors ligne, enfin un héros complet. Souverain moderne, il donne à l’Italie l’indépendance et bat le tsar ami de la Prusse réactionnaire ; il est le soldat de la révolution et en même temps le ministre des volontés divines : « L’homme providentiel qui gouverne la France, écrit Mansfeld, a une mission tracée qu’il lui sera donné de remplir. Tout, en effet, dans sa vie, nous montre le mortel prédestiné. » Or, cette mission consiste à orienter la France dans ses voies de jadis : « Elle joue un rôle de premier plan, écrit en 1860 un anonyme[1]. Il semble que les temps de Louis XIV et de Napoléon pourraient bien revenir. » En d’autres termes, elle doit reconstituer l’ancienne Confédération du Rhin, et, pour prix de la protection qu’elle accordera aux États du Sud contre la Prusse, ceux-ci lui abandonneront la rive gauche. Les deux voyages que fait en Allemagne Napoléon III, le premier à Stuttgart en 1857, le second à Bade trois années plus tard, attestent son immense popularité. Il est accueilli par des foules en délire, aux cris poussés en français de : « Vive l’Empereur ! » et les

  1. Der Congress in Baden-Baden, p. 4.