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superbe élan de dévouement à la patrie, de confiance en son bon droit, de passion pour sa grandeur et son indépendance, oubliant pour elle, en une minute, toutes les discordes de la veille, et réconciliés dans l’unanime amour de la France, ce fut un spectacle sans pareil[1].


Ah ! il n’a pas besoin de nous dire qu’il « a assisté à ce spectacle, unique dans les fastes d’un peuple, le cœur battant, les yeux pleins de larmes, » nous le connaissons assez pour savoir que ce dut être là l’un des plus beaux jours de sa vie. Et, même si nous n’en avions pas dans ses articles le vivant témoignage, nous devinerions que les événemens des premiers jours de la guerre, la violation du Luxembourg, de la neutralité belge, l’entrée en ligne de l’Angleterre, la provisoire abstention italienne, la méthodique et calme perfection de la mobilisation française, les premiers combats de Belgique et d’Alsace ont eu dans Albert de Mun le plus fièrement ému, le plus saintement enthousiaste des spectateurs. Il prodigue à l’armée belge, « troupe de héros, avant-garde volontaire de la civilisation, contre la ruée des barbares, » l’hommage chaleureux et reconnaissant de son admiration fraternelle. Et puis, le 8 août :


Mulhouse est pris ! Comprenez-vous, à ces trois mots, vous les jeunes, et vous-mêmes, entrés dans la vie depuis quarante ans, comprenez-vous, à ces trois mots, quel coup au cœur, quel sursaut de tout notre être, pour nous, les vieux, les vaincus de 1870 ?…

La revanche ! Mot vibrant, si longtemps refoulé dans nos âmes, et qu’il nous était défendu de crier tout haut. Le voilà qui retentit, comme un espoir désormais possible, d’un bout à l’autre du pays. C’est donc vrai ! Nous pouvons espérer, avant que Dieu nous rappelle, voir ce grand retour de justice et de gloire. Et vous, mes camarades, vous dont les restes illustres reposent sous la terre où vous êtes tombés, frappés d’une mort doublement cruelle, puisqu’elle n’avait pu, du moins, sauver la patrie, est-ce que, dans vos tombes de hasard, que laboure, depuis tant d’années, le travail des vivans, est-ce que vos os n’ont pas tressailli d’un frémissement soudain, au bruit de la grande nouvelle[2] ?


On se rappelle ce que disait Chateaubriand, à propos du mouvement final de l’Oraison funèbre du prince de Condé, « qu’à ce dernier effort de l’éloquence humaine, les larmes de

  1. La guerre de 1914, p. 34.
  2. Id., p. 54-55.