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français, toutes les justes réserves que lui inspirait sa fierté patriotique. La Chambre lui fit, à plusieurs reprises, d’enthousiastes ovations, le couvrit d’applaudissemens, mais rejeta sa motion. Jamais échec parlementaire ne fut plus glorieux : tous les cœurs étaient visiblement avec l’orateur ; mais il n’est pas rare, en France, que la raison soi-disant politique désavoue les suggestions de la sensibilité. Albert de Mun en fit une fois de plus l’expérience ; mais il avait rempli tout son devoir, et quand il lança son fameux cri : « Ah ! messieurs les ministres, il faut que vous lui rendiez grâce avec nous à ce généreux pays ! Il vous a sauvés de votes-mêmes !  » il dut sentir, à l’accueil qui lui fut fait, qu’il avait libéré l’âme française et préparé les réparations futures.

Ce n’était point une illusion. De tous les points de la France les lettres affluent, lui prouvant qu’il a touché juste, que « la France ne veut pas périr, qu’elle ne veut pas être livrée, qu’elle ne veut plus être humiliée. » « Ma plume et ma parole, écrit-il, sont à son service. » Et à la chute du ministère Caillaux, il ouvre une campagne pour saluer et encourager « le réveil du pays. » Campagne toute patriotique, et exclusivement patriotique, en dépit des vœux que lui adressent certaines des innombrables lettres qu’il recevait. « Quelques-unes, déclare-t-il, m’appellent sur le terrain politique. Je ne m’y laisserai pas attirer. L’heure est trop poignante. C’est quelque chose comme celle d’il y a quarante et un ans, quand la patrie rassembla tous ses fils, sans distinction de croyances ou d’opinions, sans souci des mains qui tenaient le drapeau. » Noble attitude, en vérité, et qui, avec une générosité à laquelle on ne répondit pas toujours, préludait à cette « union sacrée » où nous vivons depuis plus de trois ans. Un de ces articles est précisément intitulé : l’Union nécessaire, et il est une réponse à une parole fameuse sur la survivance séparatrice de la question religieuse.


Oui, — concluait éloquemment Albert de Mun, — la question religieuse sépare nos âmes. Ce n’est que trop vrai. Mais, dans ce déchirement douloureux, où tant de cœurs ont saigné, quelque chose reste debout, qui les unit malgré tout, quelque chose de sacré qu’il n’est pas permis de livrer aux disputes et aux passions. Il reste la France ! C’est à elle qu’il faut penser. C’est d’elle qu’il faut parler[1].

  1. Pour la Patrie (Émile-Paul), p. 205, 289.