Page:Revue des Deux Mondes - 1917 - tome 42.djvu/115

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Et il consentait bien à l’enfermer, cette douleur peut-être un peu impatiente ; mais il voulait en garder la mémoire. « La guerre, disait-il, impossible hier, est là qui nous guette. » Et il croyait de son devoir de dire à ses compatriotes toute la vérité. « Je vois et j’entends, déclarait-il, et c’est assez. Je vois que, derrière le Rhin, on travaille sans trêve, sans défaillance, avec cette vigueur que donnent à l’action l’unité de direction, la permanence des volontés. Je vois que les lignes de transport se multiplient vers la frontière de la Belgique et du Luxembourg, que les dirigeables, que les flottes d’aéroplanes se construisent avec une activité fiévreuse, que, demain, ils auront partout leurs ports d’attache organisés : je vois que, derrière les canons, se massent les caissons automobiles, prêts au ravitaillement…[1]. » Hélas ! il voyait, ou prévoyait trop bien ; et comme on aurait dû l’écouter davantage ! Au reste, quand on relit aujourd’hui les deux volumes qu’Albert de Mun a intitulés Pour la patrie et l’Heure décisive, et où il a recueilli ses articles de 1912 et de 1913, on ne peut s’empêcher d’être frappé de la hauteur patriotique de vues, de la finesse de sens politique, de la justesse prophétique de vision dont ils témoignent. Si la guerre de 1914 a surpris un trop grand nombre d’entre nous, c’est qu’ils n’avaient pas assez lu et médité ces pages qui auraient dû résonner à leurs oreilles comme l’appel viril du clairon d’alarme. Et si les événemens nous ont trouvés militairement moins prêts que nous n’aurions dû l’être, c’est que « ces articles passionnés qui paraissaient appeler la guerre, à force de la prévoir[2] » n’avaient pas eu, au Parlement et dans les conseils de nos gouvernans, tout le retentissement qu’ils auraient dû avoir.

Une première fois, la diplomatie, — une diplomatie peut-être trop habile, et dont certains procédés allaient être bientôt sévèrement condamnés, — réussissait à écarter, ou plutôt à ajourner le conflit. Ce fut, on se le rappelle, au prix de concessions que nous avions le droit de trouver injustifiées et douloureuses.

Après bien des années d’un silence tristement involontaire, Albert de Mun remonta à la tribune pour présenter, sur les longues négociations engagées et subies par le gouvernement

  1. Pour la Patrie (Émile-Paul), t. IV, p. 146.
  2. Id., t. V, p. 214.