Page:Revue des Deux Mondes - 1917 - tome 42.djvu/108

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

aussi fortement qu’on aurait pu le souhaiter cette merveilleuse faculté d’évolution que possède l’Église et par laquelle, sans jamais cesser d’être elle-même, elle se plie de siècle en siècle aux circonstances les plus diverses, s’accommode des régimes les plus opposés et poursuit inlassablement son œuvre d’apostolat.

Des réflexions de cette nature, si elles avaient été plus familières à l’esprit d’Albert de Mun, auraient-elles suffi à lui faire atténuer la violence un peu intransigeante des anathèmes qu’il a prononcés contre la loi de séparation et contre ceux qui l’ont trop facilement acceptée ? Je ne sais. Mais comme il n’était pas l’homme des longues imprécations stériles, il se ressaisissait bien vite, et à l’indifférence religieuse générale qu’il avait si douloureusement constatée, et qui semble l’avoir surpris plus que de raison, il s’empressa de chercher un remède. Négligeant d’ailleurs, comme à son ordinaire, le côté intellectuel du problème, il en envisagea avec une virile loyauté le côté social. Il se retrouvait là sur son terrain, il y rencontrait d’actifs et dévoués collaborateurs. L’un d’eux, Mgr Gibier, le généreux évêque de Versailles, avait dit : « Le peuple ne connaît pas le clergé… Quand le clergé comprendra-t-il qu’il ne lui serait pas difficile de gagner le cœur du peuple, s’il le voulait sérieusement ? » Albert de Mun commentait avec chaleur ces trop justes paroles qui faisaient écho à des idées qu’il avait souvent exprimées lui-même : « Je voudrais voir, s’écriait-il dès 1892, je voudrais voir dans tous les diocèses de France un certain nombre de prêtres choisis, jeunes, actifs, intelligens, étudiant les questions sociales et se préparant à pouvoir les traiter devant un auditoire populaire, étudiant les questions agricoles et pouvant en entretenir les paysans, étudiant les questions économiques et pouvant fonder des sociétés de crédit, des associations ouvrières, n’étant pourvus ni de cures, ni de vicariats, ne recevant pas de traitement de l’État, et libres ainsi de tous liens avec l’administration, montant droit au peuple pour le réconcilier avec l’Eglise[1]. »

À cette réconciliation, dont il ne voulait pas désespérer, « n’aimant point, disait-il, à s’asseoir longtemps sur les ruines, » Albert de Mun a travaillé jusqu’au bout avec un beau

  1. Discours et écrits divers, t. V, p. 129-130.