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clairvoyante. Les six ou huit volumes où il a recueilli ses campagnes de presse ne sont pas seulement un éloquent réquisitoire contre la politique sectaire où nous avons failli sombrer et qui a accumulé tant de ruines ; ils sont aussi un solennel avertissement patriotique à ceux qui travaillaient imprudemment à désunir l’âme française en face d’ennemis toujours prêts à profiter de nos moindres fautes. S’il a si vaillamment soutenu le combat « inégal » « où l’honneur l’engageait, » c’est qu’il en voyait admirablement l’enjeu et la portée. « Ce combat, disait-il, ce n’est pas un choc d’ambitions rivales, ce n’est pas une bataille de partis, ce n’est pas seulement, j’ose le dire, quelle que soit l’ardeur de ma foi, une lutte religieuse : c’est la lutte pour la vie nationale[1]. » L’avenir n’allait que trop lui donner raison.

S’explique-t-on maintenant pourquoi il est intervenu dans « l’Affaire maudite, » comme il l’appelait lui-même, avec l’éclat que l’on sait ? Ce n’est point, comme on l’a prétendu, par une suite toute naturelle de l’affection très tendre qui l’unissait au Père du Lac. C’est tout simplement parce qu’à travers les polémiques passionnées de l’heure présente, il voyait venir, ce qu’il eût voulu éviter à tout prix, « les violences de la guerre religieuse. » Et en même temps, les abominables campagnes auxquelles il assistait contre l’armée lui faisaient craindre la désorganisation de notre puissance militaire au profit et, probablement, grâce aux « ressources » de nations rivales trop intéressées à notre déchéance. Sur ce dernier article la lumière n’est pas faite encore. Mais n’est-il pas vrai que les événemens récens éclairent singulièrement ceux d’autrefois ? Si dans cette sorte de conspiration à peu près unanime de l’opinion européenne que nous avons alors tous sentie autour de nous, l’histoire future ne reconnaissait et ne dénonçait pas la main et les procédés habituels de l’Allemagne, nous en serions prodigieusement surpris.

Faut-il également chercher l’influence allemande, — influence occulte et insoupçonnée de ceux qui la subissaient, — dans la longue campagne d’anticléricalisme qui a suivi « l’Affaire ? » Il est possible, et l’on se souvient que l’influence bismarckienne n’a pas été entièrement étrangère aux premières

  1. Combats d’hier et d’aujourd’hui, t. I, p. 179.