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Allant plus loin, on a transplanté avec succès un membre tout entier d’un animal à un autre. Plus hardiment encore, Carrel a voulu transplanter des viscères, des glandes, des organes essentiels d’un être vivant à l’autre ! Mais ici une barrière s’est dressée qui interdit jusqu’à nouvel ordre de passer de l’animal à l’homme : c’est que l’animal sur lequel on a fait ainsi une greffe complète d’organes essentiels, et bien que la greffe en elle-même réussisse parfaitement, présente, au bout d’un certain temps, des phénomènes morbides particuliers, une sorte de sénescence, comme s’il était peu à peu empoisonné par l’organe implanté dans son être, comme si cet organe agissait sur lui à la façon d’une tumeur parasite, d’un cancer.

Quoi qu’il en soit de ces suggestives et passionnantes recherches que Carrel compte reprendre après la guerre, elles l’ont conduit, par la force des choses, à étudier et à employer des substances dans lesquelles se conservent sans se putréfier et s’infecter les tissus ainsi transplantés, les substances qui favorisent la cicatrisation dans la greffe en prévenant toute infection.

Or, précisément, — et cela ressort de l’exposé que j’ai fait précédemment de l’évolution microscopique des plaies de guerre, — c’est précisément de substances de ce genre que le chirurgien militaire a besoin pour stériliser les chairs mutilées des blessés et faciliter leur cicatrisation, en un mot pour les guérir. C’est ainsi que ses travaux physiologiques ont admirablement préparé Carrel à son œuvre magistrale de chirurgie de guerre.

Ce qui caractérise la méthode chirurgicale de Carrel, c’est que, — chose assez rare en médecine et en chirurgie, — elle procède de l’expérimentation scientifique la plus rigoureuse.

Frappé par le fait que, dans le traitement des accidens infectieux, des plaies de guerre, les antiseptiques puissans de jadis (comme le sublimé et l’acide phénique) avaient pour ainsi dire fait faillite, Carrel, comme d’autres chercheurs, notamment Delbet, arriva bientôt à la conviction que le bon antiseptique n’est pas seulement celui qui agit sur l’agent microbien, mais surtout celui qui nuit au minimum à la défense de l’organisme. Cela n’était pas le cas des antiseptiques classiques qui agissaient un peu, si j’ose employer cette image, à la façon du pavé de l’ours, et nuisaient autant aux tissus à reconstituer qu’aux agens infectieux.

Quelles substances étaient donc capables de détruire ces germes, tout en ménageant la résistance ; des cellules de défense de l’organisme, de limiter leur action destructive aux premiers, de faire un choix