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Si au contraire je laisse aller les événemens, si je reste dans l’exil que je ne demandais pas, mais que j’ai accepté très volontiers, Léon Pillet, dont le privilège expire dans deux ou trois ans, s’en ira alors, ou même, si une fois en sa vie il écoutait un bon conseil, il tâcherait comme Crosnier de faire un marché avantageux et de céder son entreprise, tandis qu’elle lui offre encore quelque chance.

Alors la situation changerait pour moi, alors et quel que fût le successeur de Léon Pillet, j’arriverais avec l’Africaine ou le Prophète. Je serais le premier succès d’une nouvelle administration, au lieu d’être le dernier ouvrage de l’ancienne. J’inaugurerais cette nouvelle direction, comme nous avons inauguré celle de Véron par Robert le Diable, par un succès. Nous ferions la fortune du nouveau directeur, et celui-ci, sinon par reconnaissance, du moins dans son intérêt, nous en saurait quelque gré.

Vous m’avez demandé de réfléchir sur votre proposition ; cette lettre vous prouvera que je l’ai examinée sous toutes ses faces.

Nos rapports avec Léon Pillet comme directeur et auteur sont à jamais finis et ne peuvent plus se renouer ; je l’ai jugé ainsi dès le procès du Duc d’Albe.

Nos rapports comme anciens camarades, confrères et amis peuvent toujours reprendre et durer, surtout depuis qu’il n’est plus question entre nous d’opéra, et c’est dans cette pensée-là que j’ai serré cordialement la main qu’il me tendait. Il en sera toujours ainsi, à condition que nous ne parlions plus théâtre, seul chapitre sur lequel nous ne pourrons jamais nous entendre.

EUG. SCRIBE.


La question du Duc d’Albe ne se rouvrit donc plus, au moins sous les mêmes espèces. Est-ce un mal ? Donizetti, dit-on, avait trouvé le moyen d’utiliser une partie de sa musique en faisant entrer les airs de ballet dans la Favorite et de nombreux morceaux dans Dom Sébastien. Au surplus, ce qui subsiste de la partition doit se retrouver actuellement, plus ou moins achevé, à Bergame, dans les papiers de l’auteur. Quant au libretto de Scribe, eût-il été perdu, la perle en eût difficilement passé pour un désastre. Et il n’est pas perdu. On retrouve le Duc d’Albe parmi les centaines de manuscrits, originaux