Page:Revue des Deux Mondes - 1917 - tome 41.djvu/882

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

« C’est un métier de faire un livre comme de faire une pendule, » écrit La Bruyère. Scribe aussi est de cet avis : seulement, en faisant une pièce, il pense moins au livre qu’à la pendule. C’est le triomphe de la combinaison, de l’ingéniosité, de l’adresse. Ce ne peut être le triomphe de l’art, qui souhaite plus d’imprévu et moins de mécanique. L’ambition de Scribe semble remplie quand il a exécuté un ouvrage où tout manœuvre à merveille, et, à voir sa pensée ainsi réalisée, il éprouve la satisfaction d’un ouvrier excellent qui passe d’un travail à l’autre avec le sentiment d’y réussir également.

Un de ses collaborateurs, Ernest Legouvé, à propos d’Adrienne Lecouvreur, nous a initiés à la méthode qu’il suivait habituellement. Le sujet à peine ébauché. Scribe s’asseyait à sa table de travail et se mettait à écrire l’ordre des scènes du premier acte. Il traçait d’abord la gradation de l’intrigue ; ensuite, les incidens venaient naturellement se grouper autour des pivots de l’action : méthode excellente pour la logique dramatique, mais combien défectueuse pour le pittoresque de l’histoire et pour la vérité des caractères !

De ceux-ci, l’auteur se préoccupait beaucoup moins. Il lui suffisait qu’ils eussent une certaine tenue constante, une dominante de passion ou de ridicule et que le public pût les suivre aisément. Quant à l’histoire, qui était, pour Dumas père, un clou destiné à accrocher les tableaux de sa fantaisie, c’était encore un clou pour Scribe, mais destiné à retenir le fil de ses nombreuses intrigues. Plus ambitieux que Mascarille qui réservait la seule histoire romaine à sa manie de rondeaux, Scribe, pour son besoin d’affabulation dramatique, n’avait pas trop de l’histoire universelle : tous les temps et tous les lieux l’attiraient également, et, suivant les circonstances, il plaçait au Nord ou au Midi, dans un passé lointain ou proche, les aventures qu’il se proposait d’animer aux yeux du spectateur. Les genres aussi lui étaient indifférens. Ayant pour tous une vocation égale, il n’en préférait aucun, sinon dans la mesure fortuite où il lui convenait de faire mettre en musique, ou de laisser en dialogue courant, ce que diraient les personnages au cours de l’action. Un compositeur est-il en mal de libretto ? Scribe lui vient en aide et adapte à ses désirs une œuvre qu’il avait parfois imaginée sous un autre aspect. On y chantera, voilà tout ; on y dansera même, au besoin, car le librettiste se sait de force à faire tout accepter du public.

« A Paris, dit Scribe, dans la Camaraderie, il n’y a que les gens riches qui font fortune. » Il devrait ajouter qu’on n’y joue que les auteurs applaudis. Quelques années avant 1840, Scribe avait fourni à presque tous les musiciens en renom l’occasion de succès retentissans. C’est alors qu’il fut question d’une collaboration avec Donizetti, alors au début de sa carrière. La combinaison n’alla pas sans quelques