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misérables pour fournir à l’Allemagne une clientèle en rapport avec ses besoins les plus pressans. Les dirigeans de Berlin s’en avisèrent vers la fin extrême du XIXe siècle. C’est alors que l’on vit Guillaume II, avec la hâte fébrile qui le caractérise, s’installer à Kiao-Tchéou en 1897, accomplir en 1898 son sensationnel voyage d’Orient, puis, au début de ce siècle, celui de Tanger ; s’installer et s’étendre au Togo, au Cameroun, dans le sud-ouest et l’est de l’Afrique ; poursuivre enfin avec ténacité l’accaparement par la finance allemande du chemin de fer de Bagdad. « Notre avenir est sur mer, » avait-il vaticiné, lorsqu’il voulait obtenir de son pays un gros effort pour augmenter la marine de guerre et la flotte marchande dont il disposait. De fait, il ne limitait pas ses ambitions pour l’avenir du commerce allemand aux seules entreprises maritimes et coloniales : il entendait s’assurer des réserves de terres propres à fournir plus tard à l’Allemagne les matières premières qu’elle est obligée d’acheter à l’étranger ; il aspirait aussi à inonder de la surproduction allemande les hinterlands aussi bien que les ports, les pays anciens tout autant que les nouveaux.

Cette politique d’invasion pacifique, par émigrans, par capitaux, par marchandises, finit cependant par alarmer ceux-là même qui avaient le plus de répugnance à croire au péril imminent, ceux qui faisaient confiance au libre jeu de la concurrence pour éviter les cataclysmes industriels, ceux aussi qui persistaient à ne voir en tout cela qu’une manifestation du modèle déjà catalogué et connu des rivalités économiques entre nations de l’ancien style et de la vieille école.

Alors, mais un peu tard, commença de s’ébaucher un mouvement de résistance contre la pénétration allemande en tous lieux et en tous pays : arrangemens franco-anglais au sujet du Maroc, anglo-russe à propos de la Perse, qui aboutirent à l’Entente cordiale, puis à la Triple Entente ; relèvement des droits de douanes en France, commencement d’agitation protectionniste en Angleterre ; conclusion d’une convention anglo-canadienne sur la base toute nouvelle d’une préférence douanière réciproque, etc. « Encerclement ! » clama presque aussitôt l’Allemagne. Non pas assurément, mais érection très lente, très fragmentaire, très incertaine de quelques frêles barrages contre l’épandage dans toutes les directions de cette