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liens commerciaux et financiers qui se nouaient et se resserraient chaque jour entre les diverses nations, qu’on négligeait les faits les plus patens, ceux-là surtout dont l’observation attentive eût démontré aux plus récalcitrans l’inéluctable fatalité qui conduisait l’Allemagne, et par elle l’univers, à la guerre, et à la guerre la plus formidable et la plus impitoyable qui se soit jamais vue.

Dans sa récente plaquette, Pourquoi nous nous battons, M. Ernest Lavisse a tracé d’un burin saisissant la transformation radicale et le prodigieux essor économique de l’Allemagne en ces dernières années : d’agricole qu’elle était pour les quatre cinquièmes de sa population, et ce, avec un appétit se satisfaisant mal d’un sol pauvre, elle est devenue puissance industrielle, grâce aux énormes richesses charbonnières et métalliques de son sous-sol. Ses progrès, sous ce rapport, déjà rapides de 1870 à 1895, sont devenus « vertigineux » dans les quatre lustres qui ont précédé la guerre : c’est dans ce court. intervalle en effet que sa production annuelle de houille a passé de 79 à 177 millions de tonnes, celle de fonte de 5 400 000 a 17 617 000, son commerce général extérieur de huit milliards de francs à 24 milliards et demi. Et comme, malgré l’accroissement de sa population, elle était hors d’état d’absorber la totalité de cette énorme quantité de richesses, force lui était, pour soutenir son train industriel, de chercher des déversoirs à son trop-plein[1].

Elle les chercha d’abord aux colonies, du côté des rares territoires sans maître que les États qui l’avaient précédée dans l’arène historique avaient laissés disponibles. Ce fut M. de Bismarck lui-même, malgré sa répulsion avérée pour les entreprises lointaines et à trop vaste envergure, qui inaugura la méthode nouvelle, mais il ne le fit qu’avec prudence et circonspection : de 1884 à 1890, il se borna à suivre les initiatives des particuliers plutôt qu’à les précéder, et il profita des rivalités qui divisaient alors la France et l’Angleterre, pour se concerter tantôt avec l’une, tantôt avec l’autre, et prendre pied, de-ci, de-là, en Afrique ou en Océanie.

Il ne subsistait guère que des bribes de territoires à recueillir par ces voies, et les indigènes en étaient vraiment par trop

  1. Pour plus de détails, voir La Prospérité nationale de l’Allemagne de 1888 à 1913, par le docteur Karl Helfferich, Paris, 1917.