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sociétés de secours mutuels, mais des organes de défense et de revendication. Comme l’a dit Albert de Mun dans son discours de Saint-Etienne, en 1892, il s’agit « de déterminer, dans chaque profession industrielle ou*agricole, le taux du juste salaire, de garantir des indemnités aux victimes d’accidens, de maladies ou de chômages, de créer une caisse de retraite pour la vieillesse, de prévenir les conflits par l’établissement des conseils permanens d’arbitrage, d’organiser corporativement l’assistance contre la misère, enfin de constituer entre les mains des travailleurs une certaine propriété collective à côté de la propriété individuelle, et sans lui porter atteinte. »

Comme l’on pouvait s’y attendre, les adversaires politiques d’Albert de Mun crièrent au socialisme. « Eh non ! disait Léon XIII, ce n’est pas du socialisme, c’est du christianisme. » Il se souvenait du temps où, simple évêque de Pérouse, il dénonçait déjà avec vigueur, au nom de l’idéal chrétien, les « inhumanités » du régime économique issu de cette Révolution, dont Emile Montégut, ici même, dans un article célèbre, proclamait « la banqueroute, » et que Renan, de son côté, qualifiait d’ « expérience avortée. » « Elle ne laisse debout, écrivait ce dernier, qu’un géant, l’Etat, et des milliers de nains… Elle crée une nation où la richesse seule a du prix… Son code de lois semble avoir été fait pour un citoyen idéal, naissant enfant trouvé et mourant célibataire. » Un tel accord d’esprits si différens suffirait à prouver qu’en matière sociale tout au moins, l’œuvre révolutionnaire est extrêmement discutable, et qu’il y a lieu de la rectifier.

Pour cela, il ne pouvait suffire de répandre les études et les idées de réforme sociale, de multiplier même les cercles ou associations. Une action de ce genre était certes excellente, mais elle risquait d’être éternellement platonique, ou tout au moins de ne produire tous ses résultats qu’à trop longue échéance. L’antique adage : Quid leges sine moribus ? peut se retourner, et dans l’ordre économique ou social, la contre-partie n’en est pas moins juste ; Quid mores sine legibus ? Qu’est-ce qu’une association à laquelle la loi ne reconnaît pas certains privilèges ? Et même, — car c’est ainsi que la question parfois se pose, — qu’est-ce qu’une association dont la loi n’admet pas l’existence ? S’il est bon de réformer les mœurs et les idées, c’est la législation surtout qu’il faut pratiquement atteindre. Par