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servant de lui pour frayer le chemin du pouvoir à quelques tribuns de passage, et le traînant à des combats sanglans d’où il est sorti épuisé et meurtri[1]. » — Et ailleurs : « Ce que j’aime dans ma patrie, ce n’est pas seulement la terre qui porte mes pas, c’est le clocher à l’ombre duquel je suis né, l’autel où j’ai fait ma première prière, la tombe où reposent ceux que j’ai aimés, et tout cela, c’est la trace que Dieu a laissée du même coup dans mon cœur et sur le sol de mon pays, en sorte que je ne saurais défendre l’un sans l’autre, ma religion et mon foyer[2]. » — Ailleurs encore : « Il y a, messieurs, — nous avons bien le droit d’évoquer ce souvenir, — il y a, sur le plateau d’Amanvillers, une route qui monte à Saint-Privat-la-Montagne : elle s’appelle encore le chemin funèbre de la garde royale. C’est là que l’élite de l’armée allemande est tombée dans un combat de géans ; et si je me laissais aller, combien d’autres souvenirs héroïques se presseraient devant mes yeux, depuis Wissembourg et Reichshoffen jusqu’à cette charge de Sedan dont je ne puis parler, moi, qu’avec des larmes dans les yeux, parce que la moitié du régiment de chasseurs d’Afrique où j’ai fait mes premières armes y a trouvé la mort, cette charge de Sedan qui arrachait au roi de Prusse un cri pareil à celui de Guillaume d’Orange à Nerwinde : « Oh ! les braves gens ! » comme l’autre avait dit : « L’insolente nation[3] ! » Nous étonnerons-nous que ces lignes aient soulevé « sur tous les bancs de la Chambre » une « double salve d’applaudissemens, » et qu’à vingt-quatre ans d’intervalle, une autre Chambre ait pareillement accueilli cette admirable objurgation : « Je supplie la Chambre d’y réfléchir. L’histoire la

  1. Discours, t. Il, p. 186-187.
  2. Id., ibid., p. 143-144.
  3. Discours, t. III, p. 463. Voici comment-un témoin oculaire, M. Henri Welschinger, nous dépeint l’effet produit sur la Chambre par cette superbe page : « Il dit cela, la dextre haute, l’œil humide, la voix hachée de sanglots, avec un tel geste, un tel accent, une telle flamme, comme s’il chargeait encore l’ennemi à la tête de ses cavaliers, que l’Assemblée tout entière, — je l’ai vu, — de l’extrême droite à l’extrême gauche, entraînée, subjuguée, frémissante, se leva et se dressa somme un seul homme, et pendant cinq minutes, l’interrompit par des applaudissemens, des acclamations et des bravos répétés. » Et le même écrivain nous trace d’Albert de Mun orateur le portrait suivant : « A peine monté à la tribune, il apparaissait fait pour commander, pour dominer. Sa tête fine et franche, son front mâle, ses yeux ardens, sa bouche arquée, son menton impérieux, son geste noble et franc, sa taille haute et fière, son accent précis, clair, martelé, sonore, tout chez lui impressionnait, charmait, séduisait. » (Journal des Débats, du 10 octobre 1916).