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rentrée d’Afrique, des offres venues de l’entourage impérial, en me faisant présenter aux Tuileries. » Il faut noter dès maintenant cette demi-indifférence politique, contrastant avec une ferveur religieuse qui paraît avoir toujours été très vive. Le jeune officier était ardent, généreux, un peu ambitieux. Un moment même, l’Empire libéral l’ « enthousiasma »[1]. Il n’eût pas fallu beaucoup de choses pour le « rallier » au nouveau régime. Sur ces entrefaites, la guerre éclata.

Il dut l’acclamer, comme tous les officiers d’alors. Cependant, dans la petite cour du quai d’Orsay où, « lieutenant de cavalerie prêt à partir, » il attendait, le 15 juillet 1870, la fin de la séance du Corps législatif, il avait vu sortir les députés, « le front soucieux, inquiets et troublés, doutant de leur œuvre[2]. » Il ne s’expliqua que trop bien plus tard leur attitude.

Quoique nous n’ayons pas ses souvenirs de la guerre, nous pouvons nous représenter avec une suffisante exactitude l’impression profonde que la grande catastrophe nationale fit sur l’âme d’Albert de Mun. « Elle marqua dans ma vie l’heure décisive[3], » nous a-t-il dit lui-même ; et il ne nous l’eût pas dit que nous l’eussions, croyons-nous, aisément deviné. Il était ardemment patriote, il était gentilhomme, il était soldat : comment l’année terrible n’eût-elle pas mis sa douloureuse empreinte sur lui plus fortement peut-être que sur aucun de ceux qui, dans cette génération infortunée, sont arrivés à la notoriété littéraire ? Aucun d’eux, en tout cas, n’a plus intimement souffert de nos désastres, n’a plus vivement ressenti l’amertume et l’humiliation de la défaite ; aucun ne s’est plus sincèrement, plus passionnément juré de travailler de toute son énergie au relèvement de la patrie ; et aucun n’a mieux tenu son serment, avec une fidélité plus constante, plus active et plus heureuse.

Il faisait partie de l’armée de Metz. Il était, au témoignage de Changarnier, « de ces officiers qu’un chef éclairé doit vite apprécier, estimer et aimer. » Sa bravoure « alerte et intelligente » lui valut la croix de la Légion d’honneur sur le champ de bataille de Gravelotte. Et ce fut à Rezonville, sous les obus,

  1. Ma vocation sociale, p. 52-54.
  2. La Guerre de 1914, p. 19.
  3. Ma vocation sociale, p. 6-7.