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l’ordre. « On les avait vus cent fois, écrira Ségur[1], après avoir surmonté tous les périls, refuser les grades, se les rejeter l’un à l’autre et, tiers de leur rigidité républicaine, marcher nus, allâmes, soutirant de toutes les privations les plus cruelles et, vainqueurs enfin, demeurer pauvres au milieu de tous les biens qu’offre la victoire. » C’est qu’ils entendent pratiquer « la Vertu. »

« La Vertu ! » ce mot revient sans cesse dans la bouche des témoins après 1794. Oui, ils furent, ces soldats de l’an II, de l’an III, de l’an IV, les plus beaux exemples de vertu militaire. C’est que la vertu militaire est faite de deux élémens : une brûlante vaillance que ces hommes avaient toujours connue, une discipline exacte qu’on avait obtenue de leur civisme — en face de l’ennemi — et, plus encore que de leur raison, de leur cœur.

A deux reprises, en avril 1792, en janvier 1793, ils avaient constaté — par d’éclarans revers — que la vaillance sans discipline n’empêche pas la défaite, que le soldat sans discipline, si valeureux qu’il s’estime, peut soudain agir en lâche et que le chef qui enferme ses hommes dans le respect des règles est le meilleur. Les paroles des généraux et des représentans — appuyées sur ces exemples plus parlans encore — avaient plus fait que les arrêts des tribunaux militaires pour rétablir à deux reprises la discipline, que l’homme parfois était le premier à appeler et que promptement, en tout cas, il consentait.

C’en était fini des désordres, des délibérations, des motions, des élections, des députations à la barre, des séditions, des défections aboutissant à des débandades honteuses devant l’ennemi. La discipline « fondée sur la confiance, » animée par le civisme, nourrie par la raison, allait achever de faire de ces vaillans les premiers soldats du monde. L’instrument merveilleux était forgé avec lequel la France allait être constamment victorieuse, pendant vingt ans, sur tous les champs de bataille.

La discipline était rétablie au printemps de l’an II. Le 26 juin 1794, la victoire de Fleurus ouvre la série des triomphes. Le Français indiscipliné est maitre de l’avenir.


LOUIS MADELIN.

  1. Ségur, II, 458.