Page:Revue des Deux Mondes - 1917 - tome 41.djvu/788

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

un héros doublé d’un juste. « Ça fut rétabli par l’intrépidité des chefs, » écrira Coignet. Et on les attendrit d’un bon mot cordial : « Capitaine, nous vous aimons tous ! » crient-ils, conquis. Et quel respect ! Si Bangofsky, évadé des mains des Prussiens, est invité à déjeuner par son colonel : « Ma mise, écrit-il, ne me permettait pas d’accepter un tel honneur !  »

Dès l’an II, ce soldat existait que le monde admirera, supportant sans se plaindre les extrêmes du froid et du chaud, prêt à tout souffrir, de l’enfer de feu que sera l’Egypte à l’enfer de glace que sera la Russie, blaguant la souffrance et le danger, mais ne blaguant pas « le chef » ni « la gloire, » se louant de ses privations si elles étaient « nécessaires à la patrie » et acceptant toutes réprimandes parce que, écrit l’un d’eux, « le colonel est un homme juste. » Chevillet, enfant terrible, ne se consolera pas d’avoir mérité un coup d’œil sévère de son capitaine : « Mon capitaine est mécontent de moi ; je tâcherai de me corriger. » C’est tout. Et s’ils « grognent » parfois, suivant un mot célèbre, toujours « ils marcheront. » Leur armature était la discipline qu’après Dumouriez et Carnot, qu’après la Convention, qu’après Hoche et Kléber, l’Empereur leur prêchera, « première vertu militaire. »

Soldats de la Nation ! C’est « la Nation » qui leur demande non la vaillance, ils la prodiguent, non l’héroïsme, il leur sort par tous les pores, mais l’honneur, et « l’honneur, c’est la discipline. » L’honneur ! ils s’en nourrissent. Si, en l’an II, une troupe mal nourrie, le 8e bataillon, du Bas-Rhin, s’agite, fait mine de se mutiner parce qu’il a été envoyé à la ville pour en rapporter des vivres, le brigadier Muscar revient les mains vides, le brave homme leur crie : « ArrêtezI » Ce qu’il rapporte de la ville vaut tous les vivres : c’est un papier ; il le déploie ; il lit : « La Convention décrète que le 8e bataillon du Bas-Rhin a bien mérité de la patrie. » Ce sont des cris de joie et d’orgueil : « Vive la République ! » On se jette dans les bras les uns des autres. Le bataillon se reforme et regagne ses postes[1]. « L’honneur ! » le mot revient sans cesse sous la plume maladroite de ces braves. Et le premier article de l’honneur, c’est d’accepter le poste que le chef a assigné, c’est de lui obéir parce qu’il est le représentant de la Nation, c’est, en dépit des privations, de respecter

  1. Duruy, Le brigadier Muscar, 1856.