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désormais indépendant, il n’avait plus aperçu d’objections à s’appeler le comte de Pelleport, et c’était là que, vingt-quatre ans plus tard, la guerre de 1914 le retrouvait père et grand-père, ayant un fils officier d’avenir et déjà marié, une fille mariée également, et deux jeunes filles. Fier de ses enfans, aimé d’eux, résidant toute l’année dans son château, et heureux de sa vie rurale, il n’y connaissait toujours pour guides, à la veille de ses soixante ans, que le devoir et l’honneur du nom !

A proximité de Chiddes, petit bourg de l’arrondissement de Château-Chinon, Champlevrier est un ancien caste féodal entouré d’ombrages et de pièces d’eau et, le soir du 1er août, M. et Mme de Pelleport s’y disposaient à aller dîner chez des parens avec leur fille aînée, Mme de Quérézieux, en ce moment. chez eux, et leurs deux jeunes filles, quand ils entendaient sonner le tocsin. Il était six heures, la journée avait été très chaude, toutes les fenêtres étaient ouvertes, et les tintemens, venus d’abord de l’église neuve du village, puis du vieux clocher où l’on ne sonnait pourtant plus depuis des années, semblaient même encore arriver d’autres églises plus lointaines. Les nouvelles, toute la semaine, avaient été si alarmantes, et toutes ces sonneries étaient si étranges, qu’on pouvait se demander si elles n’annonçaient pas la guerre, mais M. de Pelleport ne voulait pas y croire, et disait à sa femme et à ses filles :

— L’omnibus est attelé, et nous ne pouvons plus attendre… Partez… je vous rejoindrai en route… Je vais aller savoir pourquoi on sonne…

Mme de Pelleport recommandait alors au cocher d’aller au pas, pour donner le temps à son mari de revenir, mais on était à peine à mi-chemin de l’avenue qu’il reparaissait en hâte à l’autre bout, faisait signe à l’omnibus d’arrêter, et disait en arrivant :

— Eh bien ! c’est la guerre… Nous ne sortirons pas… On va rentrer à la maison…

En même temps, il prenait les chevaux par la bride, et leur faisait faire lui-même demi-tour pour les reconduire au château.

M. de Pelleport n’avait jamais caché son intention de partir, en cas de guerre, et ses idées, sur ce point comme sur beaucoup d’autres, avaient toujours été très arrêtées. Il estimait que, dans certaines grandes circonstances, les hommes de sa condition