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existence, dans les lettres comme dans l’armée, n’avait guère été qu’une lutte des plus dures contre les difficultés de la vie. Il mourait en 1870, et son fils, âgé seulement alors de treize ans, rappelait lui-même plus tard ces mélancoliques et chères années de son enfance dans une lettre admirable de culte filial pour la mémoire malheureuse mais aimée et vénérée de ses parens. Sa mère était Écossaise et, profondément tendre, avait en même temps une virilité et une élévation de sentimens dignes des héroïnes des vieilles ballades celtiques. Il faisait ses études au lycée de Versailles, et son père, les jours de congé, l’emmenait faire de grandes promenades dans les bois, lui apprenant à en admirer la beauté, et lui parlant de la nature, de Dieu, d’honneur, de gloire, de mille choses grandioses ou sublimes. Jamais l’enfant n’avait oublié ces leçons, données avec cette tendresse, par ce père malheureux, dans le cadre de ces forêts. Elles lui étaient pour toujours restées dans le cœur, et n’avaient pas peu contribué à faire de lui l’homme chevaleresque et religieux qu’il devait être, fier de sa race, comprenant la beauté du travail et du sacrifice, et n’hésitant jamais devant ce qu’ordonnait le devoir ou ce que lui imposait son nom. Resté seul à treize ans avec -sa mère, et sans fortune, il s’adaptait tout de suite à sa position, travaillait, et, reçu dans un bon rang à l’Ecole centrale, partait à dix-neuf ans pour l’Egypte, où il allait remplir un emploi d’ingénieur et devait bientôt trouver une fortune inespérée.

D’une intelligence et d’une information remarquablement appropriées à son poste, et parlant toutes les langues, y compris l’arabe, il devenait très vite ingénieur en chef des domaines de l’État égyptien et, pendant plus de dix ans, occupait là-bas, en cette qualité, une situation des plus hautes. Tous les personnages de marque, diplomates ou militaires, résidant alors au Caire, savaient de quelle autorité y jouissait M. de la File. Car il n’avait encore voulu s’appeler que M. de la Fite, ne se regardant toujours que comme un cadet gagnant sa vie, et ne se considérant pas comme suffisamment autorisé à porter son titre. Puis, en 1887, pendant un de ses congés passés en France, il avait épousé Mlle de Ruffi de Pontevès Gévaudan, fille du colonel de Pontevès, et quitté l’Egypte quatre ans après, pour venir s’installer dans le pays de sa femme, en Nivernais, au château de Champlevrier. Vivant alors dans ses domaines, et