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foyers et se munir des objets nécessaires à cette émigration forcée. La commune de Montescourt-Lizerolles avait été particulièrement éprouvée pendant tout le temps de l’occupation ennemie. Frappée d’une forte contribution sous un prétexte mensonger, livrée aux exactions et aux caprices d’un reître subalterne, nommé Ludwig et d’un certain baron von Gemmigen, elle avait été vaillamment défendue par son maire, M. Sébline, sénateur et conseiller général du département de l’Aisne.

Agé de soixante-dix ans, malade, pouvant d’ailleurs rester à Paris ou aller à Bordeaux pour y exercer son mandat de sénateur, M. Sébline jugea, dès le commencement de la guerre, que son département, son canton, sa commune, avaient besoin de lui, et que sa place était au milieu de ses compatriotes menacés par l’invasion. Donc, il revint à Montescourt-Lizerolles, « dans la pensée de se rendre utile en soutenant le courage des habitans[1]. »

Ayant généreusement élevé la voix pour soutenir les droits et les intérêts dont il avait la charge, M. Sébline fut emprisonné jusqu’au paiement de la contribution infligée à sa commune par l’exigence des envahisseurs. Le capitaine Ludwig, de Potsdam, commandant de place, lui dit, à ce propos :

— Je n’aurai égard ni à la situation, ni à l’âge, ni à la santé. Si vous continuez, je vous ferai fusiller. »

M. Sébline continua… Il continua de prodiguer aux pauvres gens de sa commune, dans toute la mesure de ses forces déclinantes, l’exemple de sa constance inébranlable et de son intrépide fermeté. Puisqu’on souffrait autour de lui, sa souffrance lui parut être l’accomplissement d’un devoir. Sa grande douleur, c’était d’assister, trop souvent impuissant, à des scènes de révoltante violence. Dès le mois d’octobre 1914, par ordre supérieur, la Kommandantur organisa l’enlèvement de tous les hommes qui semblaient en état de servir. Ces malheureux, empoignés brutalement dans leur domicile ou dans les champs, étaient enfermés dans une geôle et de la expédiés en Allemagne.

  1. Déposition faite, le 25 juillet 1917, par Mme Sébline. Le procès-verbal de cette déposition nous a été communiqué par M. Georges Payelle, premier président de la Cour des comptes, président de la Commission d’enquête instituée par décret du 23 septembre 1914 en vue de constater les actes commis par l’ennemi en violation du droit des gens.