Page:Revue des Deux Mondes - 1917 - tome 41.djvu/661

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Il a la sveltesse inquiétante et la taille longue que l’on remarque aux éphèbes des manuscrits persans. La main droite lancée en avant, la gauche ramenée à la hauteur de l’épaule, le coude faisant saillie, il exécute le rapide mouvement de pieds de la lesghienne. La corbeille de fruits des Canéphores posée sur sa tête ne tomberait pas, tant son mouvement est mesuré et son équilibre sûr. On oublie la guerre, on rêve de beauté grecque ou asiatique… Mais, tout à coup, le danseur saisit son poignard, le fait tournoyer, et en un instant crée autour de lui une atmosphère sauvage où l’on respire la guerre et l’odeur du sang. Imaginez ces nuits romantiques, dignes des Tarass Boulba, des cheikhs et des émirs : la flûte dominant le ronflement voilé du tambourin, et un, deux, trois, dix danseurs qui se lèvent, sous la lune ou autour des feux de bivouac !…

Parfois c’est une autre scène : la djiguitofka. Tous ces hardis cavaliers sont djiguitis ! C’est leur fierté et leur noblesse. Ils ne connaissent que deux choses : la guerre et la djiguitofka. Tous les autres soins, soins matériels — et par conséquent avilissans — sont laissés aux femmes, aux faibles, considérés comme inférieurs. La djiguitofka c’est la fusion du cavalier avec le cheval. Monter en courant sur la nerveuse bête lancée au galop ; tomber de la selle et y remonter sans effort, se cacher sous le ventre de sa monture et de là, invisible, presque invulnérable, viser son ennemi et le tuer, exécuter les tours d’adresse et de voltige les plus inouïs, les plus prestigieux, les plus fantastiques. sans que l’homme ni le cheval perdent haleine ; enfin, s’élancer en une course passionnée coupée de cris de victoire : telle est la djiguitofka, sœur de la fantasia africaineI


KORNILOFF ET LA RÉVOLUTION

La Révolution russe trouve Korniloff à la tête de sa Division Sauvage. Sa valeur militaire jointe à ses idées libérales bien connues le font choisir comme gouverneur militaire de Pétrograd. La tâche est rude. Sur aucune garnison peut-être, le virus anarchique cou tenu dans l’ordre n° 1 n’a agi comme sur la garnison de Pétrograd[1].La situation militaire est grave : la fonte des glaces, la concentration de la flotte allemande dans

  1. Pour l’ordre n° 1 et ses résultats sur le moral des troupes, voir les numéros précédens de la Revue.