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force était d’attendre, en mer même, les instructions orales apportées par les navires patrouilleurs. Je ne saurais donc décrire quel fut notre itinéraire, puisque tantôt nous longeâmes les côtes anglaises vers le Sud, tantôt fîmes halte en pleine mer, tantôt rebroussâmes chemin, jusqu’au jour où, rendus à heure fixe sur un point déterminé la veille au soir, nous pûmes filer en droiture sur l’estuaire de la Meuse et Rotterdam ; tous ces va-et-vient furent faciles à observer grâce au temps admirable dont nous ne cessâmes de jouir, ce qui corrigea de pittoresque l’ennui pesant de ces incertitudes, l’agacement de ce bruit d’ancres incessamment déchaînées pour des stoppages subits. Et, grâce à ces lenteurs mêmes, reconnues depuis salutaires et nécessaires, s’imprima dans notre esprit une image vraie de cette guerre, vue sous un angle spécial, dont la force nous prit à un degré extrême.

Ce qui nous saisit par-dessus tout, c’est la puissance, de possession et de surveillance à la fois, exercée par l’Angleterre sur la mer du Nord. Impression profonde dès le début, et fortifiée par la suite, puisque nous n’avons pas traversé moins de quatre fois la mer du Nord en quatre mois, en des points différens, et toujours sur des navires anglais. L’Angleterre est là chez elle. Elle y domine : autant dire qu’elle y fait, et qu’elle y obtient ce qu’elle veut, étant bien entendu qu’elle ne s’intéresse pas également à tout, qu’elle ne peut tout également protéger, convoyer, et qu’il est des choses qu’elle abandonne à leur destinée. Mais on dresserait aisément la courte liste, croyons-nous, des entreprises qu’elle a voulu faire aboutir, et qui n’ont pas abouti. Sur cette mer du Nord, qui n’est plus un simple canal comme la Manche, la maîtrise anglaise s’étale avec un luxe de moyens qui offre à l’œil un spectacle incomparable, à l’esprit une incroyable sécurité. On se sentait « chez eux » sur ces eaux soi-disant tapissées en profondeur de sous-marins, et on était sûr que toute chose émergente un peu suspecte était perdue d’avance, sans avoir pu même esquisser son coup. Si nombreux, si vîtes étaient les navires enveloppant l’horizon de leur couronne sans cesse en mouvement ; si variés de forme, d’allure, étaient ceux qui sillonnaient et fouillaient les rayons de ce cercle, sans parler de ces éperviers aériens qu’on voyait planer, guetteurs infatigables à l’œil perçant, prêts à fondre comme la foudre sur la proie découverte ! En vérité, le spectacle