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Doncaster, où l’on change de train, puis Brough. Nous approchons de Hull. Sur la gauche, la plaine se ponctue de ces moutons tout ronds, tout floconneux de stalactites de laine, qui ressemblent à des manchons à pattes, seulement un peu grumeleux de malpropreté. Quand ils trottent, le vent fait bouffer ces loques légères. Cela nous amuse un instant. Mais l’arrivée brusque à Hull, et la perspective de nouvelles palabres avec les diverses polices du port nous rappelle au sérieux. Il est trois heures. A peine débarqués, à peine véhiculés d’un premier office maritime à un second office maritime, le flegme et le formalisme nous enveloppent partout de leur glace. Après d’interminables attentes, exhibitions de papiers, explications, rectifications, méditations des divers préposés (tous serviables, polis, avec l’inévitable pipe odorante entre leurs lèvres serrées), on rentre à l’hôtel, à un hôtel indiqué, imposé, par le commissariat du port, au « Terminus » de l’endroit. Le départ ? Geste vague du dernier bureaucrate à pipe. Pas aujourd’hui, ni sans doute demain. On ne sait pas. On dira. On téléphonera. Well ! on téléphonera. Attendez.

Et le brouillard, laissé à Londres, tisse de plus belle ses lourdes toiles à l’embouchure de l’Humber. Il est jaunâtre, il est verdâtre ; une vraie glu atmosphérique, qui colle partout, pénètre partout.

L’attente durera trois jours pleins, et l’on partira le quatrième. Usons le temps ! Ici encore l’énergie anglaise apparaît, bien que la ville, énormément accrue et gonflée par la guerre, soit surtout ville de commerce maritime et d’industrie. Mais la note guerrière y résonne aussi. Wilberforce, du haut de sa colonne de bronze noir, et le monument de Victoria, d’une sculpture fade, voient défiler plus d’uniformes que de bourgerons, autour de leurs socles. Fifres et musique, voici justement qu’un régiment se masse sur la place de la gare, devant notre « station hôtel, » autour d’un autre monument élevé à la gloire des coloniaux anglais. La foule s’empresse. Les uniformes moutarde forment un carré dense. C’est une remise de décorations, et de décorations françaises. Un officier français, que voilà, est venu les apporter. L’état-major parcourt les rangs, en compagnie d’un grand homme noir, en tuyau de poêle et collier d’argent, au médaillon central brimballant sur sa poitrine, — le lord-maire de Hull. La foule applaudit et même crie « Hurrah ! »