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qui semblait de corail mauve, des pigeons sur un mur, une grave cigogne qui marchait dans un pré, en levant ses pattes lentement, comme une vieille demoiselle précautionneuse. Et toujours, toujours, la basse profonde et la secousse amortie de la canonnade continuait au-delà du lac…

Zito stratos !… Zito « colonoun !… » Zito Kyria[1] !…

Les écoliers nous acclamèrent ainsi, sur l’invitation de l’instituteur, et je crois même qu’ils essayèrent un petit chant qui voulait être la Marseillaise. Le bon maitre, enchanté de notre visite, nous reconduisit en nous recommandant de bien prendre garde à l’escalier plein de trous. Je ne fus pas médiocrement surprise de découvrir, du palier, une autre classe, encore plus délabrée que la classe principale, une chambre nue où, sur un banc, cinq ou six enfans en bas âge, les bras croisés sur la poitrine, attendaient d’un air très digne qu’on voulût bien s’occuper d’eux… C’était « la Maternelle !… »


Après le déjeuner qu’égaya un concert donné par la musique du régiment, je pris congé de mes hôtes et leur renouvelai tous mes vœux de bonne chance et d’heureuse gloire. Il y a toujours un peu d’émotion dans ces adieux-là… Je ne m’en défendis pas, et je repartis, en automobile, emportant de jolis menus peints à l’aquarelle, des balles bulgares gravées de dessins délicats par un artiste improvisé, des bagues d’aluminium, un gros bouquet de pavots et des souvenirs qui resteront à jamais dans ma mémoire… Le lieutenant Jean R… fut mon compagnon de route, et notre voyage s’accomplit sans incidens. Un peu avant six heures, nous étions à Salonique où régnait une animation anormale. J’appris alors la nouvelle que les journaux du matin avaient annoncée : l’occupation du fort de Ruppel par les Bulgares.

L’événement a une grosse importance, puisqu’il ouvre à nos ennemis la Macédoine orientale, de par la volonté du roi Constantin. Ce n’est pas seulement l’armée franco-anglaise, ce sont des populations hellènes qui sont mises en péril. Ruppel commande Demir-Hissar, et Demir-Hissar commande la route de Drama, Serrés et Cavalla, la route de la mer ! La garnison

  1. Vive l’armée !… Vive le colonel !… Vive Madame !…