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Quand les souverains allemands prirent possession de la rive gauche, ils n’eurent garde de modifier aussitôt la législation existante, et même ils donnèrent leur parole qu’ils la respecteraient. Ainsi les Rhénans conservaient une conquête qu’ils jugeaient précieuse, et ils pensaient bien que l’état de choses créé par les traités de Vienne ne serait que provisoire, puisque les engagemens des princes, jusqu’à un certain point, le laissaient apparaître tel. Ce Code, dans l’opinion publique, était une défense contre l’arbitraire, et en même temps, comme il était fait pour de libres citoyens, il s’accordait merveilleusement avec les tendances démocratiques du pays. Au civil, il confirmait l’abolition des privilèges, l’égalité des nobles et des roturiers. Au criminel, il empêchait les abus du pouvoir et les violences de l’autorité, puisqu’il édictait la publicité des débats, la liberté de la défense, et que, dans les causes relevant des cours d’assises, un jury d’hommes honorables, non pas le tribunal lui-même, prononçait sur la culpabilité. Les Rhénans voyaient dans leur législation le boulevard qui les séparait du reste de l’Allemagne, le lien qui les rattachait à la France, le monument impérissable et solide qui leur rendait toujours présent le souvenir de Napoléon. A défaut d’autres avantages, et si la domination des nouveaux souverains devait durer, le Code était la garantie d’un particularisme qui ne voulait pas abdiquer. En fait, il maintenait les personnes elles-mêmes sous l’influence française. Je n’en veux comme exemple que ce président du tribunal de Mayence, Pittschaft, que Gulzkow aperçut en 1840. Il émaillait ses discours d’expressions françaises, avait toutes les manières des avocats et des juges français, en un mot il ressemblait à un Français annexé : selon l’expression de l’écrivain, les lois qu’il appliquait étaient pour lui « la raison écrite. » Ce sont elles qui l’avaient formé intellectuellement : il leur avait voué sa reconnaissance et son respect.

La Bavière, la Hesse et l’Oldenbourg, du moins pendant très longtemps, ne songèrent pas à modifier le Code Napoléon. Il en fut de même du grand-duché de Bade, où.il était en vigueur depuis 1809 sous la forme d’une traduction officielle. La Prusse au contraire manifesta bien vite d’autres intentions. Le gouvernement de Frédéric-Guillaume III s’irrita de voir la monarchie coupée pour ainsi dire en deux, avec, à l’Ouest, des tribunaux spéciaux et une législation inconnue au reste du