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sur les régions rhénanes… Ces provinces reçurent tout d’un coup, comme une pluie fécondante, la somme et la plénitude de ce que la Prusse avait produit pendant sept années d’un dur et pénible labeur. Elles s’unissaient de nouveau à la patrie allemande, elles entraient dans le courant de la culture allemande ; elles voyaient s’ouvrir les voies de relations naturelles ; elles avaient la perspective, d’une libre constitution. Tous ces présens, dont chacun était d’une valeur inestimable, firent ressembler le commencement de l’année 1815 à un incomparable printemps des peuples, qui s’épandait sur le pays rhénan dans toute sa splendeur et dans toute son abondance. »

Or, ces phrases pompeuses sont d’une complète inexactitude. On pourrait même les qualifier d’impudent mensonge. Que les Prussiens, dans leur orgueil, aient pu envisager les choses comme Sybel, cela n’a rien qui nous étonne. Les populations annexées montrèrent pour eux beaucoup moins d’enthousiasme. C’est à Clèves qu’ils furent le moins mal accueillis, car on se souvenait encore que le roi de Prusse avait été souverain du duché avant la Révolution. En Wallonie également, il n’y eut pas trop d’opposition ; dans cette contrée de langue française, on consentit à l’expérience que commandaient les événemens, et, dès 1816, confiant dans les promesses du monarque, le peuple criait déjà : « Vive le Roi ! » Ailleurs, dans les villes comme dans les campagnes, les nouveaux maîtres rencontrèrent des inimitiés très vives, et qui durèrent fort longtemps., Quand ils prirent possession du pays, on les connaissait fort peu, car les relations étaient pour ainsi dire nulles entre Berlin et Aix-la-Chapelle ; mais ils avaient très mauvaise réputation. « Jesses, Maria, Josef, » s’écria dans son patois le vieux banquier Schaafhausen, lorsqu’il apprit, à Cologne, que Frédéric-Guillaume III annexait la province, « Jésus, Marie, Joseph, voilà Hérode ! » Cette antipathie si naïvement exprimée était celle de presque tous les Rhénans. Ne pouvant rester Français, ils auraient sans doute consenti à être Allemands, mais ils ne voulaient pas être Prussiens, et leur aversion, dans les années qui suivirent, fut si manifeste qu’elle força l’attention des observateurs et provoqua des aveux. En 1866, Bismarck lui-même ne se faisait aucune illusion sur leurs sentimens.

Sans en venir encore à une époque aussi récente, il suffit d’énumérer une certaine quantité de témoignages concordans.