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celles du Midi. La ligne de nos places fortes, autrefois redoutable et suffisante, ne l’est plus aujourd’hui qu’elle est entamée par les effets du traité du 20 novembre… La rive gauche est une position défensive inexpugnable, la seule qu’il convienne à la France de prendre quand elle est en guerre avec l’Allemagne, et qu’elle doit se procurer à tout prix. » De son côté, le gouvernement de la Restauration avait été pénétré de ces mêmes idées, et il avait attendu avec impatience le moment favorable, afin de poursuivre le but qui avait été celui de nos rois. Sous le ministère Polignac, Chateaubriand avait composé un Mémoire où il réclamait pour la France, comme agrandissement éventuel, la rive gauche du Rhin : « C’est là, disait-il, que tôt ou tard la France doit poser ses frontières, tant pour son honneur que pour sa sûreté. Les guerres de Napoléon ont divulgué un fatal secret : c’est qu’on peut arriver en quelques jours de marche à Paris après une affaire heureuse, c’est que ce même Paris est beaucoup trop près de la frontière. La capitale de la France ne sera à l’abri que quand nous posséderons la rive gauche du Rhin. » On sait que Polignac avait secrètement prié la Russie de l’aider à rentrer en possession des territoires que Talleyrand, à Vienne, avait dû céder. Sans doute, le 4 septembre 1829, il esquissa un mouvement de recul, craignant que l’acquisition des provinces rhénanes ne nous donnât « une position toute menaçante et agressive contre l’Allemagne. » Il s’en fallait pourtant de beaucoup que la France eût renoncé. La monarchie de Juillet n’abandonna pas ce projet, qui se traduisit non seulement dans les discours et articles des membres de l’opposition, mais encore dans bien des paroles échappées à des hommes de gouvernement, comme Thiers, voire au duc d’Orléans. On ne s’étonnera donc pas que l’opinion rhénane, ainsi tenue en haleine, ait manifesté une aversion profonde pour le régime qu’elle devait subir.


I. — LES SENTIMENS ET LES INTÉRÊTS CONTRE LE RÉGIME NOUVEAU

A en croire certains historiens prussiens, la chute de Napoléon et l’évacuation de la rive gauche du Rhin par les Français avaient été pour les populations la source d’un infini bonheur. « Ce fut un pur et radieux printemps, s’écrie lyriquement Sybel en 1865, que celui qui se leva il y a cinquante ans