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apparaît mieux. Le fleuve franchi, ce fleuve qui par lui-même est un obstacle difficile, nos alliés ont couronné de cime en cime les hauteurs qui en dominent la rive gauche, patiemment, infatigablement, en terrassiers et en chasseurs, creusant, minant, battant et escaladant. Ils ont occupé successivement les sommets du Monte Cucco, du Monte Vodice, puis, en dernier lieu, du Monte Santo; ils grimpent les pentes du San Gabriele, d’où le San Daniele sera sous leur feu. Des quatre pièces qui forment le plateau de la table aux pieds de laquelle est Trieste, ils tiennent, au Nord-Ouest, le plateau de Bainsizza, ont commencé, parle ravin de Chiapovano, à se glisser dans la forêt de Ternova, rongent la surface dure et bosselée du Carso. Le quatrième haut plateau, la forêt de Piro, est en arrière de Trieste, - et ne pourrait leur servir qu’à un mouvement enveloppant par Postoina ou Adelsberg. Mais ils veulent aborder de face la ville non encore rachetée qui attend leurs trois couleurs, et les yeux du peuple sont fixés, entre Monfalcone et Duino, sur le massif de l’Hermada qui revêt une valeur de symbole, et semble comme le rocher par lequel est défendue l’entrée de la terre promise. Les imaginations, promptes à s’enflammer, inventent des histoires qui ne peuvent pas être l’histoire et ne sont que des fables, où nous sommes du reste honorablement mêlés. 40 000 hommes, Anglais, Français et Italiens, seraient venus, un matin, de la mer, se seraient rués sur le bloc infernal, et, dans leur fureur, l’auraient emporté. La vérit4, plus modeste, mais intéressante, est que, de la mer, des monitors et des batteries flottantes ont bombardé, par-dessus le château de Duino, autre symbole, les retranchemens autrichiens de l’Hermada. Au surplus, il n’est pas besoin des fantaisies de l’imagination là où l’esprit trouve dans la réalité un aliment aux plus vastes espoirs. «Cose magnifîche ! » — Des choses magnifiques ! — télégraphiait, en style lapidaire, dès le 26 août, M. Barzilaï au Giornale d’Italia. Depuis lors, elles n’ont fait que grandir encore. Près de 30 000 prisonniers, 75 canons capturés, dont deux gros mortiers de 305, attestent l’importance de l’affaire.

Malheureusement, la situation demeure inquiétante en Moldavie. L’armée roumaine, ressuscitée et accrochée à ce qui reste de la patrie, résiste avec héroïsme, mais l’armée russe de Tcherbatcheff, qu’on se représentait indemne ou guérie, s’est révélée contaminée d’indiscipline et d’anarchie, en certains de ses élémens. Une de ses divisions a lâché pied, livrant le passage à l’ennemi. Quoiqu’une menace sur Ocna ait été d’abord écartée, et que, pendant un instant