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ce magnifique vaisseau ne réduisent en poudre les ouvrages des Turcs. On dirait que les marins les mieux avertis ont oublié le fait d’expérience de l’inefficacité relative des feux directs contre les ouvrages à terre ayant une certaine altitude. Ils ont oublié aussi les mines dérivantes et que, déjà, dans la guerre de Sécession, on s’était servi avec succès de ces engins, d’autant mieux à leur place dans les Dardanelles que le courant y est constant en direction, comme dans les grands fleuves d’Amérique. Peut-être ignorait-on, avant le 18 mars 1915, quelle était déjà l’emprise de l’Allemagne sur la Turquie et que la défense des Détroits avait été remaniée et complétée par les meilleurs techniciens. Toujours est-il que la lutte se poursuivit, ce jour néfaste, dans les pires conditions pour les cuirassés engagés dans cette vaine canonnade. On est assez d’accord aujourd’hui qu’ils n’avaient qu’à défiler rapidement, — en s’enveloppant de fumée, — devant les ouvrages de Tchanak-Nagara et que leur apparition décisive dans la mer de Marmara ne leur eût pas coûté plus de pertes que celles qu’ils essuyèrent en essayant d’éteindre successivement les feux de toutes les batteries de l’adversaire[1].

Malheureusement cet échec retentissant est immédiatement exploité par les adversaires déterminés de toute opération sur les côtes. On a tôt fait de généraliser. Et de ce que des unités de combat, — anciennes, du reste et appartenant au type « chavirable, » — ont succombé sous le choc de mines dérivantes ou de torpilles, car ce n’est pas le canon qui les a coulées, on conclut sans appel que c’est folie de risquer des dreadnoughts dans des entreprises contre un littoral défendu. Il est vrai qu’en même temps et par une contradiction singulière, on applique à ce qui reste des cuirassés mis en jeu, le 18 mars, des défenses « de fortune » qui seraient déjà fort efficaces contre les engins sous-marins ; qu’on se hâte d’étudier des dispositifs plus complets de protection et même que l’on conduit jusqu’à l’entrée des Dardanelles des monitors puissamment armés,

  1. On a objecté à ceci que l’escadre n’aurait pas pu se maintenir dans la mer de Marmara, faute de ravitaillement. J’ai déjà répondu à cette allégation, que la consommation de charbon dans la marche de la mer Egée à la mer de Marmara serait très faible et que les navires auxiliaire que la flotte entraînerait avec elle seraient bondés de briquettes. On pouvait d’ailleurs emporter aussi un supplément de munitions. Il y a encore d’autres argumens qu’il serait peu prudent de faire valoir.