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le gouvernement, visite les quartiers généraux, les chefs d’armée, écoute et interroge les officiers de liaison.

Son refuge est le grand quartier général de Vitry-le-François. Là, vers les bâtimens du collège où il est installé, tous les fils convergent. Le général occupe le cabinet du proviseur. L’état-major, ayant pour chef le général Belin, travaille dans une grande salle où, sur des tables de bois noir, les cartes sont étalées ; de-ci, de-là, des bureaux ; dans un coin, le lit de camp où s’étend, quand l’énorme labeur le lui permet, le général Berthelot.

C’est là que, du 21 au 24 août, arrive coup sur coup la série des mauvaises nouvelles : la 2°et la 1re armées battues à Morhange et à Sarrebourg, en retraite sur la Mortagne et sur la Moselle ; la 3e et la 4e armées, battues dans les Ardennes et forcées de se replier sur la Meuse ; la 5e armée et l’armée britannique battues dans la région de la Sambre et en retraite sur la frontière française.

Comment, sous ces atteintes successives, va réagir le commandant en chef des armées françaises ?

Jusqu’à cette heure, Joffre n’a pas eu le contact immédiat avec la volonté des adversaires : il a développé son plan ; mais les obstacles ne s’étaient pas dressés devant lui. On peut dire qu’il n’avait pas encore pris conscience de lui-même : car la valeur individuelle ne se réalise que dans la difficulté. Voici donc que surgit la volonté adverse : elle se manifeste par le grand plan en tenaille, par le mouvement tournant, par les trois batailles de l’Est, des Ardennes, de Charleroi qui, toutes trois, sont malheureuses pour nos armes. Ces résultats écrasent, pour ainsi dire, le plan français sous le plan allemand et le brisent en trois jours…

Des témoins ont raconté qu’à ces heures d’angoisse secrète, quand, seul, il pouvait connaître la grandeur du péril, le général Joffre resta pareil à lui-même, attentif, appliqué, laborieux, confiant. Son souci n’apparaît qu’à son application plus grande. L’œil mi-clos, il tend son esprit, et les avis qui viennent vers lui le trouvent silencieux.

Les vertus de Joffre sont, dans l’ordre moral, le calme et, dans l’ordre intellectuel, l’équilibre. Telle est sa nature, où la réflexion seconde l’instinct : quand il ne se sent pas d’aplomb, il cherche. Chaque modification qui se produit dans la balance