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la fraternité des camps. Il était resté la principale faiblesse d’un pays trop rapidement constitué pour que les progrès de son unité morale eussent pu suivre la marche de son unité politique. Séparés par la longueur des distances, la diversité des climats, des traditions et des caractères, les habitans des différentes provinces ne se connaissaient guère que par leurs préventions réciproques, et ne pouvaient être amenés que par le temps à une conscience plus nette de leur communauté nationale. La guerre a précipité cette évolution en les mettant en contact dans les mêmes corps de troupe. On pouvait craindre d’abord de leur en voir compromettre la consistance et la discipline par l’inégalité de leur valeur militaire et l’ardeur de leurs rivalités régionales. Ils ont appris, au contraire, à s’estimer en se fréquentant, et leurs qualités diverses se sont complétées au lieu de s’opposer. Dans la brigade de Cagliari, par exemple, un millier de Romains, qui représentaient les défauts brillans des habitans des capitales, avaient été incorporés dans une majorité de Sardes, qui conservaient les rudes vertus des races primitives. L’entrain un peu déréglé des uns et la solidité des autres se sont associés en un alliage humain d’une trempe particulière, brillamment éprouvée par les batailles du Carso[1]. Ailleurs, un régiment de Romagnols est renforcé par des Napolitains qu’ils accueillent d’abord avec une instinctive défiance, mais apprennent bientôt à aimer comme des frères[2]. Répétée avec succès sur tous les points du territoire, cette expérience a permis à l’armée de remplir une fois de plus sa mission sociale et de devenir le creuset vivant où les élémens les plus hétérogènes sont venus se fondre en un métal solide et résistant.

Du même coup s’est trouvé résolu, ou au moins fort avancé dans l’une de ses applications, le grave problème moral qui a pesé si longtemps sur la vie politique de l’Italie et qu’on a appelé d’un terme générique : la question du Midi. Les souvenirs d’une existence longtemps séparée, écoulée loin des luttes pour l’indépendance, l’influence d’une situation territoriale excentrique et d’un esprit public peu développé, l’absence de motifs de rancune contre l’Autriche semblaient disposer les habitans des provinces méridionales à méconnaître la nécessité d’une guerre dont ils ne supporteraient que les charges et qui

  1. Pascazio, pp. 15-18.
  2. Azione du 1er août 1915.