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roman, de ces sept Alpins qui, à dix heures du soir, sortent de leur cantonnement, se glissent en rampant jusqu’à la tranchée adverse, y pénètrent pieds nus, armés de leur seule baïonnette, et y surprennent une trentaine d’Autrichiens, dont ils ramènent la moitié comme prisonniers[1]. Des traits de ce genre sont fréquens dans les fastes de l’armée italienne.

Ceux qui connaissaient son passé savaient d’avance quelle serait son attitude au feu. Ils pouvaient se demander seulement si sa brillante impétuosité saurait se plier à l’attente immobile et à la discipline sévère de la guerre de tranchées. Cette question morale se compliquait d’un problème d’adaptation physique. Comment des hommes habitués pour la plupart aux ardeurs du soleil méridional et transportés brusquement dans les neiges des Alpes supporteraient-ils les rigueurs d’une véritable campagne d’hivernage ? Les résultats de cette double et périlleuse expérience répondirent pourtant aux prévisions les plus optimistes. Dans la région du Carso, le souvenir des sacrifices du début et la nécessité d’attendre pour une nouvelle avance un puissant matériel d’artillerie lourde avaient, pendant l’hiver de 1915-1916, fait succéder aux attaques d’infanterie en masse les pratiques de la plus pénible des guerres de siège, sur un sol où tous les obstacles de la nature semblaient réunis contre l’assaillant. Etablies sur des pentes dont les tranchées blindées de l’adversaire occupaient les sommets, réduites à improviser avec des sacs à terre ou des blocs de rocher des abris de fortune dont le relief même fournissait une cible aux grosses pièces autrichiennes, soumises à des bombardemens furieux et périodiques, tantôt privées d’eau, tantôt exposées à des pluies diluviennes qui dissolvaient en une boue rougeâtre un terrain pourtant trop dur pour la pioche, les troupes italiennes ont tenu sans fléchir et progressé sans jamais reculer pendant un an, jusqu’au jour où la grande poussée d’août 1916 leur permit de s’emparer de Goritz, de faire tomber ses deux défenses naturelles, le Sabotino et le Podgora, et de prendre définitivement pied sur le plateau[2].

Si les grandes opérations sont impossibles, les conditions de la lutte sont plus dures encore dans les Alpes, que le front italien parcourt sur une longueur de près de 150 lieues, à des

  1. Margheri, p. 54.
  2. Pascazio. pp. 72-80.