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de la cruelle guerre qui étend partout ses ravages ; et quand je pense à la terrible lutte qui sévit aujourd’hui en France, notre rude existence me fait l’effet d’une idylle. » C’est l’aspirant Carpazio, fervent nationaliste, qui se réjouit, non seulement comme Italien, mais comme « Européen, » de voir son pays concourir à l’œuvre de mort qui s’accomplit « pour la rédemption de l’humanité, le retour de la justice et la restauration de toutes les libertés. » Un jeune réserviste, catholique militant, déclare à son correspondant que, s’il n’aime pas la guerre, « il bénit la lutte présente, parce qu’elle purifiera l’Europe de l’égoïsme et de l’impérialisme. » Un de ses coreligionnaires politiques est plus explicite encore dans l’expression de ses sentimens : « Quoi de plus beau, s’écrie le lieutenant Borsi, que de se ranger contre ces horribles barbares qui, pendant quarante années, ont prémédité l’assassinat de l’Europe ? Le dégoût que m’inspirent ces monstres m’emplit le cœur. » Et plus loin : « La Belgique, la France, la Russie, comme elles se sont révélées dans leurs épreuves ! Comme nous les avons aimés et admirés, ces peuples énergiques, courageux et d’une si profonde santé morale ! » Partout se retrouvent les mêmes élans vers la justice internationale, la même note de sympathie émue pour les victimes de la force[1].

Après s’être ainsi répandu au-delà des frontières, le besoin d’idéal qui inspire ces nobles accens s’est replié sur lui-même pour chercher à se satisfaire par la régénération intérieure du pays. La période de prospérité qu’avait traversée l’Italie et les rêves de paix éternelle dont elle se berçait ne s’étaient pas prolongés pendant un demi-siècle sans présenter pour sa santé morale les mêmes périls que pour les autres peuples de l’Europe : l’affaissement du ressort des âmes par la poursuite exclusive des intérêts matériels, la corruption des mœurs publiques par les abus du parlementarisme, l’indifférence aux questions extérieures par l’effet d’une trompeuse sécurité du lendemain. En la forçant à tendre toutes ses énergies assoupies, une grande guerre ne l’élèverait-elle pas au-dessus d’elle-même jusqu’au niveau de ses hautes destinées ? Telle est la pensée qui ne cesse d’obséder l’esprit des plus nobles de ses fils, quand ils campent dans la neige des Alpes ou qu’ils gravissent sous la mitraille l’escarpement du Carso ; ils voient flotter devant leurs yeux

  1. Begey, p. 65 ; — Pascazio, pp. 94, 130 ; — Borsi, pp. 28 et 132 ; — Azione du 25 juillet 1915.